Il y a déjà quatre ans, en 2018, Henri Lopes publiait ‘‘Il est déjà demain’’, ses mémoires, aux éditions JC Lattes. Un livre au style clair et alerte, expurgé de pathos, où le thème du métissage et de la rencontre des cultures est le fil rouge de la construction narrative.

Auteur de ‘‘Tribaliques’’, un recueil de nouvelles qui reçut le Grand prix de la littérature d’Afrique noire en 1971, de neuf romans et d’un essai ‘‘Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois’’, Henri Lopes est né le 12 septembre 1937 à Léopoldville de parents mulâtres.
C’est à Bangui que la mère d’Henri Lopes, Micheline Vulturi, fait la connaissance de Max Elie, un Français démobilisé de la seconde guerre venu vivre en Afrique. Ils se lient d’amitié et finissent par s’unir dans le mariage à la Maison commune de Pointe-Noire, le 13 août 1947. En mars 1949, Max Elie et sa petite famille quittent le Congo pour la France. Le petit Henri est aux anges à l’idée d’aller vivre en France: «Ce départ ne suscita aucun sentiment d’arrachement. Je ruisselais de bonheur à la pensée d’aller découvrir la France, l’Europe, ‘‘Mpoto’’ en langue, la métropole, Paris, sans bien faire la différence entre ces termes. C’était, dans ma tête, des synonymes.»
En France, Max Elie et sa petite famille s’installent en Normandie dans l’île de Noirmoutier aux environs de Nantes, et le petit Riquet – c’est le sobriquet familial d’Henri Lopes – est inscrit en cours complémentaire à Noirmoutier. A la rentrée scolaire d’octobre 1949, il entre en sixième au lycée Georges-Clemenceau de Nantes, en qualité d’interne. Henri Lopes y passera sept années de sa vie scolaire. Il gardera de son lycée un bon souvenir. Michel Verret, un communiste qui enseignait la philosophie, est de tous ses professeurs, celui qui a le plus profondément marqué le jeune lycéen. Au point qu’il conçut comme lui d’intégrer l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et d’enseigner la philosophie.
Après l’obtention de son baccalauréat en 1956, il entre à l’hypokhâgne du lycée Henri IV, mais ne parviendra pas à franchir les portes de la célèbre Ecole de la rue d’Ulm. Un échec qui, à n’en pas douter, laissera en lui une profonde meurtrissure. Sur les conseils de Louis Althusser, qui est ‘‘caïman’’ à l’Ecole normale de la rue d’Ulm, c’est-à-dire enseignant chargé de préparer les candidats à l’agrégation, il opte pour des études d’histoire en Sorbonne.
A l’instar de bon nombre de ses condisciples, il milite à l’AEC (Association des étudiants congolais) et à la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) et au PAI (Parti africain de l’indépendance) du Sénégalais Mahjemout Diop.
C’est dans les milieux de l’AEC et de la FEANF qu’il fait la connaissance de Lazard Matsocota. «Il avait une voix de stentor, remarque Henri Lopes, et brillait par son intelligence, sa culture et son habilité à maîtriser les débats.»
Henri Lopes avale les livres: Mao, Lénine mais rarement Marx et Engels, précise t-il, Aragon – son auteur de prédilection –, Césaire, Jacques Roumain, Jacques Stephen Alexis, Léon-Gontran Damas …, et Senghor bien entendu: «En vérité, l’Anthologie de Senghor fut mon chemin de Damas culturel», reconnait-il en toute honnêteté.
Début des années 1960, il enseigne l’histoire-géographie au lycée Michelet de Vanves, en région parisienne et est inscrit au concours de l’agrégation d’histoire.
En 1965, c’est le retour au Congo à l’issue d’une période de dix-sept années de vie en métropole, entrecoupées toutefois de plusieurs séjours au pays à l’occasion des vacances.
Il est affecté à l’ENS (Ecole normale supérieure) comme professeur d’histoire. Puis, à quelques mois de sa prise de fonction à l’ENS, le voilà nommé directeur général de l’Enseignement. Ce sera le point de départ d’une irrésistible ascension dans l’appareil d’Etat.
A un tout autre niveau de responsabilité, il est désigné Président de la Cour révolutionnaire de justice, chargée de juger les personnes impliquées dans le coup d’Etat de février 1972.
Cet intellectuel cultivé et méthodique, n’est pas un homme d’appareil, ainsi qu’il l’avoue dans ses mémoires. C’est plutôt un technocrate qui, nolens volens, s’est trouvé propulsé dans les sommets du système dirigeant, sans qu’il l’eût vraiment cherché, et qui veut servir son pays, du mieux qu’il le peut. Ce n’est pas non plus un doctrinaire de gauche, mais quelqu’un qui se réclame du pragmatisme et d’une vision politique réformiste qui tente toujours d’atténuer le souffle de la violence politique.
Durant la crise de juillet 1968, il cosigne aux côtés de Pascal Lissouba, Jean Pierre Thystère-Tchicaya et Jean Edouard Sathoud, la fameuse lettre ouverte au président Alphonse, dans laquelle les signataires suggèrent une mise entre parenthèse de l’expérience socialiste ouverte par les journées d’août 1963.
La tentative de coup d’Etat du 22 février 1972, le trouve à Brazzaville. Il est interpellé à Makélékélé, en compagnie d’Aloïse Moudileno Massengo et Pierre Nzé, puis tous les trois transportés au camp Makala, sis à l’entrée de l’OMS. Là, ils sont enfermés dans une pièce de bureau, où se trouve déjà Ekamba-Elombe. Ils seront relaxés en fin d’après-midi.
La période ministérielle d’Henri Lopes au Congo, s’achève en 1981, date à laquelle il démissionne de sa charge de ministre des Finances – la démission est entérinée par le comité central du PCT – en vue d’intégrer l’Unesco, sous la présidence d’Amadou Mahtar M’bow. Il restera dans la prestigieuse maison jusqu’en 1998. Au sortir de l’Unesco, son choix est fait : il consacrera désormais le plus clair de son temps à la lecture et l’écriture. Et cette option est à portée de main, puisqu’il est âgé de soixante et un an, et dispose d’une pension confortable.
Le bilan qu’il tire de son passage à l’Unesco est sans ambigüité aucune: «j’avais passé dix-sept ans dans cette maison. Sans doute les années les plus riches de mon parcours. Métis, convaincus des bienfaits du mariage des cultures, l’Unesco fut mon abbaye de Thélème.»
En quittant l’Unesco, Henri Lopes, on l’a dit, s’était fait un point d’honneur de rompre avec l’action gouvernementale, pour se dédier à l’écriture. Mais on ne se libère pas de la politique, comme on fermerait pour toujours la porte d’un cabaret devenu infréquentable : en 1998, il est nommé ambassadeur du Congo à Paris. Il demeurera à ce poste jusqu’en 2016.
2009 sera une année douloureuse pour la famille Henri Lopes: en janvier, Nirva sa chère épouse décède d’une tumeur maligne. Ils s’étaient connus du temps de leurs études à la Sorbonne, s’étaient mariés à Paris en mai 1961, et avaient vécu ensemble pendant quarante-neuf ans. Au cours de la cérémonie des obsèques en l’église Saint-François-Xavier à Paris, Henri Lopes se trouva si bouleversé, qu’il n’eût pas la force de prononcer l’oraison funèbre, laissant à Thomas, son fils, le soin de parler à sa place.
En 2014, Henri Lopes est pressenti pour diriger l’organisation de la Francophonie, mais une fois de plus, il échoue à prendre la direction de cette institution, alors qu’il est probablement le mieux outillé des candidats en lice. Ce fut un échec amer, probablement le plus amer de sa vie: «Une fois encore, on m’a refusé le secrétariat général de la Francophonie. Il n’y a pas eu d’élection, mais une procédure opaque. Le moment de déception passé, je tourne la page.» Car dit-il, à la manière du sage, ce que l’on prend de prime abord pour un échec dans la vie, ne l’est pas forcément : «L’échec est fructueux. Il faut savoir déchiffrer la bénédiction qu’il masque. Je rentre en moi-même et prends du recul. Je considère mon âge, évalue mon parcours.»

Jean José MabouNgou