Ma dernière rencontre avec Henri Lopes date de janvier 2023. Je me trouvais alors en France, où je m’étais rendu aux obsèques de mon père. Profitant de mon séjour dans le pays, je lui rendis visite dans son appartement aux environs de Paris, après avoir pris la précaution de m’annoncer. Je lui avais apporté en guise de modeste cadeau « Siddhartha», l’opuscule d’Hermann Hesse sur le bouddhisme. Il me remercia pour le geste et je lui demandai d’entrée de jeu, s’il avait lu Hermann Hesse. Il me répondis en toute modestie, non.

Ma dernière rencontre avec Henri Lopes date de janvier 2023. Je me trouvais alors en France, où je m’étais rendu pour participer aux obsèques de mon père. Profitant de mon séjour dans le pays, je lui rendis visite dans son appartement de la banlieue parisienne, après avoir pris la précaution de m’annoncer. Je lui avais apporté en guise de modeste cadeau « Siddhartha », l’opuscule d’Hermann Hesse sur le bouddhisme. Il me remercia pour le geste et je lui demandai d’entrée de jeu, s’il avait lu Hermann Hesse. Il me répondis en toute modestie, non.
Je le sentis épuisé au plan physique. Il était venu vers moi à l’aide d’un déambulateur et portait sur le visage les affres de la maladie. Cependant, il fit comme si de rien n’était. Me vint soudain à l’esprit, ce jour d’automne 2019, ce me semble, où il m’avait invité à déjeuner dans un sympathique restaurant du quartier latin, non loin du métro Odéon, avec Céline Gahungu, une universitaire franco-africaine, auteur d’un ouvrage remarqué sur l’œuvre de Sony Labou Tansi. Je ne saurais me souvenir de quoi nous avons discuté durant le repas. Tout ce que je puis dire, c’est que nous passâmes ensemble un moment agréable.
Nous causâmes près d’une heure, ou disons plutôt, qu’il m’écouta plus qu’il ne parla. Je lui dis que ses Mémoires étaient passées quasiment inaperçues à Brazzaville, et il me rétorqua qu’il n’en était nullement surpris, car les gens lisent très peu, au pays.
Nous évoquâmes la mémoire du regretté Camille Bongou. Camille était un homme sérieux et modeste, me dit-il.
Ma rencontre avec cette figure éminente de la Fratrie congolaise ( Tchicaya U Tam’si, Sylvain Bemba, Emmanuel Dongala, Jean Baptiste Tati-Loutard, Sony Labou Tansi, Alain Mabanckou, pour ne citer que ces noms), récipiendaire du Grand prix de littérature d’Afrique noire en 1971, remonte au début des années 1970. Il fréquentait alors Ange Diawara, qui habitait à l’époque une villa, sise dans les parages de la Maison d’arrêt de Brazzaville. Les deux personnalités occupaient de hautes charges gouvernementales, Diawara comme ministre de l’Equipement, chargé de l’Agriculture, des Eaux et Forêts, Lopes comme ministre de l’Education nationale. C’est donc chez Diawara, si mes souvenirs sont exacts, que j’eus l’occasion de rencontrer pour la première fois l’auteur du «Pleurer-Rire». Il venait chez son homologue du gouvernement pour bavarder, ou pour lui ramener des livres qu’il avait achetés lors de ses missions officielles à l’étranger.
Il m’avait offert Il est déjà demain (Editions JC Lattes, 2018), ses Mémoires, qu’il eut l’amabilité de me dédicacer. Un beau texte de souvenirs et de réflexion, parfumé d’humour et imprégné du thème de prédilection de l’auteur, le métissage des cultures.
Je me jetai dans la lecture du livre et découvris à ma grande surprise, qu’Henri Lopes n’était pas issu d’un père d’origine portugaise, ainsi que la plupart des militants de ma génération le croyaient, en raison de la consonance de son nom, mais de deux parents mulâtres : le père né à Léopoldville, était un métis issu d’un Belge et d’une femme originaire de Bandundu, la mère était une métisse issue d’un père français et d’une mère originaire des Plateaux Batéké, au Congo-Brazzaville.
En outre, j’y trouvais des détails dignes d’intérêt sur sa vie militante en France, à l’AEC (Association des étudiants congolais) et à la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), aux côté d’hommes comme Lazard Matsocota et Joseph Van den Reysen, son ami d’enfance.
Le 26 juillet 1968, il signe avec Pascal Lissouba, Jean Pierre Thystère-Tchicaya et Jean Edouard Sathoud, la fameuse lettre des quatre au Président Massamba-Débat, dans laquelle les signataires plaidaient pour une mise entre parenthèse de l’expérience politique ouverte par les journées historiques d’août 1963. Cet acte épistolaire marquera l’entrée officielle, pour ainsi dire, d’Henri Lopes en politique. On rappellera ici, pour mémoire, qu’il fut membre du comité central et du bureau politique du PCT, et occupa les postes de ministre de l’Education nationale, des Affaires étrangères, des Finances, de Premier ministre et pour finir, d’ambassadeur en France.
Cet intellectuel affable et discret vécut deux grandes déceptions dans sa vie, selon moi. La première : il ne put franchir les portes de l’ENS (Ecole normale supérieure), la célèbre école de la rue d’Ulm, à Paris. La deuxième : il ne parvint pas à décrocher, en 2014, après dix-sept années passées à l’Unesco, la direction de la Francophonie, alors qu’il était probablement de tous les candidats en lice, le mieux à même de diriger la prestigieuse institution.
Aussi, résolut-il de tourner la page et de s’ancrer pour le restant de sa vie dans sa passion : les livres et l’écriture.
Je garderai d’Henri Lopes le souvenir d’un intellectuel courtois et cultivé.

Jean José
Maboungou