Petit à petit, nous nous glissons dans la peau d’un pays en progressive insécurité. Il y a seulement quelques années, même après les guerres, nous pouvions traverser la ville à pied. Pour qui s’en sentait le courage, aller de Talangaï à Poto-Poto Djoué la nuit était une entreprise parfaitement réalisable. Cuver sa bière jusqu’à tard dans la nuit dans un nganda de fêtard ne relevait pas d’une particulière bravade.
Aujourd’hui, dès le soleil couché, le regard au poignet signale la fin de la récréation : «L’heure est grave» ; il faut rentrer chez soi et se mettre à l’abri. Et le lendemain, dans certains quartiers de la ville, les voisins s’informent par-dessus la palissade du nombre de morts et de blessés qu’a fait la virée ordinaire des «Koulounas» et autres «Bébés noirs». «On l’a agressé à la machette» ou au pistolet : «Ils ont fait irruption dans la parcelle…». Scènes d’horreurs quotidiennes qui meublent la vie des quartiers …
A longueur de réseaux sociaux, les interrogations sont les mêmes : où va ce pays ? Entre les pessimistes invétérés et les autres, c’est à qui sortira la maxime la plus inutile, mais aussi la plus plate. «Ah ! mais, en 1970 nous ne connaissions pas ça ; nous étions dans la quiétude totale !». Peut-être. Le fait est que 54 ans auront passé. Et que de 600.000 habitants à Brazzaville, nos villes se sont gonflées de toutes les populations à la recherche d’un mieux-être et qui se bousculent aux guichets.
Le fait est aussi qu’à force de crier à l’insécurité récurrente, nous nous installons dans ce qu’elle peut laisser subsister de havres et nous y habituons. Nous haussons les épaules et passons notre chemin. On agresse une vieille maman? Le réflexe est de mettre la main à la poche pour en sortir son smartphone et prendre les photos qui feront gratuitement le buzz. Le fait est aussi que, dès lors qu’on s’habitue à la violence (des autres), nous alimentons le feu qui fait bouillir le chaudron en continu. De sorte que, quand le saignant et le croquant viendront à manquer, nous présenterons notre manque et notre ennui comme des droits à combler.
Nous crions chaque jour à l’insécurité et nous nous installons dans une société de violence ordinaire assurée. Non, nous ne sommes pas Haïti, pas encore. Mais nous avons pris la dangereuse pente qui y mène, sans autre parade que de crier et de hurler.

Albert S. MIANZOUKOUTA

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