Home Point de vue Camille Bongou, serait-il parmi les derniers Mohicans idéologiques du Congo ?

Camille Bongou, serait-il parmi les derniers Mohicans idéologiques du Congo ?

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Pierre N’DION
Pierre N’DION

Que l’on ne s’y trompe point. La carrière politique de Camille Bongou ne commence pas avec le Parti Congolais du Travail. Son engagement et son activisme politique puisent leur source dans la première expérience démocratique du Congo qui débute en 1945 et s’achève en 1964 à la création du parti unique de gauche, le Mouvement National de la Révolution (MNR) et ses organisations de masse : la Jeunesse du Mouvement National de la Révolution (JMNR) et la Confédération Syndicale Congolaise (CSC) sous le régime du président Alphonse Massamba-Débat. En effet, les Congolais se rendent aux urnes pour la première fois le 21 novembre 1945 pour élire leur député Jean Félix Tchikaya à l’Assemblée Constituante sous la IVème République Française.

Acte 1 : Formation et apprentissage politique

Le jeune Camille Bongou faisait partie des dirigeants de cette jeunesse révolutionnaire aux côtés de bien d’autres militants venus de tous les horizons du pays, qui caressaient un idéal politique tinté de romantisme dans un contexte international de rivalité idéologique Est/Ouest après la seconde guerre mondiale.
Avant l’indépendance, le Congo cherchait sa voie d’émancipation politique dans une Afrique post coloniale partagée entre le non alignement et l’un des deux blocs antagonistes Est/Ouest. Son environnement national était dominé par la rivalité entre trois formations politiques, à savoir : le Parti Progressiste Congolais (PPC) de Jean Félix Tchikaya, le Mouvement Socialiste Africain (MSA) ancienne section locale du Parti Socialiste Français (SFIO) animée par Jacques Opangault et plus tard, l’Union Démocratique de la Défense des Intérêts des Africains (UDDIA-RDA) de l’abbé Fulbert Youlou.
Mais après l’indépendance et suite au mouvement populaire des 13, 14 et 15 août 1963 (Révolution congolaise) qui provoque la chute du régime de président Fulbert Youlou, ces trois partis disparaissent du paysage politique congolais. Le régime de l’abbé Fulbert Youlou préconisait l’instauration d’un parti unique de droite à l’instar du RDA de Côte d’Ivoire du président Houphoet-Boigny.
L’intersyndicale soutenue au plan africain par le président Sékou Touré dont les membres avaient été emprisonnés pour « complot communiste » par l’abbé Fulbert Youlou, est à l’origine du changement de régime. Par conséquent, les syndicalistes orientent le nouveau régime vers les forces de gauche qui portent Alphonse Massamba-Débat au pouvoir. Ce dernier étant lui-même victime du régime du président Fulbert Youlou, auteur d’un ouvrage intitulé « J’accuse la Chine », s’était retranché dans le district de Boko. Il est ramené à Brazzaville pour occuper la fonction de Chef de l’État.
Le nouveau pouvoir se tourne naturellement vers le camp socialiste et la JMNR est politiquement et militairement encadrée par les instructeurs cubains. Camille Bongou fait partie de l’élite nationale de la jeunesse qui incarne l’orthodoxie révolutionnaire et se hisse dans le pré carré de commandement.

Acte 2 : À l’épreuve de la pratique politique

En 1967, lorsque le président Alphonse Massamba-Débat réalise un coup d’État constitutionnel (suppression du poste de Premier ministre) en comptant sur la JMNR constituée en Corps de Défense Civile mieux équipée que les Forces Armées Congolaises (l’Arme blindée mise à part). La Défense Civile retranchée dans le camp de la Météo « Biafra », dépose les armes sur ordre de sa hiérarchie (Ange Diawara). Les éléments de la Défense civile sont incorporés dans les Forces Armées Congolaises (FAC) ainsi que leurs instructeurs civils et militaires.
Camille Bongou intègre le Groupement aéroporté considéré alors comme le Corps d’élite des FAC. Au sein de ce corps, il réalise le meilleur saut en parachute avec le Commandant Marien Ngouabi ; cependant il renonce à intégrer les FAC.
En 1969 à la création du Parti Congolais du Travail, (PCT) il compte parmi les 45 membres du Comité Central. Par la suite, il fait partie du groupe de camarades qui dénoncent « l’Oligarchie Bureaucratique Militaire et Tribale » (OBUMITRI), c’est-à-dire la tendance du président Marien Ngouabi à prendre plus en considération les avis des personnalités civiles et militaires non membres du Comité central du parti dans les décisions politiques sur la base de la région ou de la tribu. Ce groupe initie une action de force pour le faire comprendre au président Marien Ngouabi sans pour autant chercher à l’éliminer physiquement.
La réaction des caciques du PCT est d’une violence disproportionnée. C’est la première, crise politique grave enregistrée au sein du PCT qui n’avait à cette date, ni Statuts, ni Règlement intérieur. Le Mouvement du 22 février (M22) qualifié de coup d’État contre la Révolution est durement réprimé, suivi des inculpations, arrestations, exécutions sommaires, emprisonnements, et chasse à l’homme dans le maquis de Goma Tsé Tsé. Pierre Nzé idéologue du PCT qualifie cette crise de « maladie infantile du communisme » selon les classiques du marxisme léninisme. Certains journaux étrangers font des gros titres du genre la « Révolution dévore ses fils » au Congo.
Le président Marien Ngouabi participe en personne à l’instruction à la télévision nationale des prévenus qui sont sévèrement condamnés et écroués. Comme bien d’autres insurgés Camille Bongou est jugé par un tribunal révolutionnaire et jeté en prison.
De la prison, Camille Bongou s’inscrit à l’Université et obtient la licence ès Lettres. Professeur de philosophie, il se passionne pour la lecture des textes anciens, monte une des plus grandes bibliothèques privées de Brazzaville. À la suite d’une formation d’éditeur en France, il fonde les Éditions Presse et Culture du Congo.

Acte 3. Exercice politique précocement écourté

À la sortie de prison, le président Marien Ngouabi assassiné, le Comité militaire du Parti (CMP) évincé, il reprend du service au PCT en qualité de Secrétaire Général à la Présidence de la République sous le régime du président Denis Sassou-N’Guesso. Il sillonne toutes les régions du pays pour doter le PCT d’une connaissance approfondie de l’état du pays, afin de dresser un programme du parti qui tient compte des besoins des populations. En 1989 lorsque le bloc socialiste s’effondre et l’URSS s’engage dans la « perestroïka » et la « glasnost », le Congo n’a plus de repère idéologique.
Le Comité Central initie alors une grande réflexion d’orientation politique du pays. Les conclusions de cette commission de travail sont sans ambiguïté : notre pays doit ouvrir le champ politique en vue de la mise en œuvre d’un régime démocratique.
Par conséquent, le PCT devrait opérer une réforme en profondeur et abandonner le principe du centralisme démocratique. Mais les caciques du Comité central et des organisations de masse du PCT s’opposent systématiquement à cette ouverture démocratique.
Il faudrait attendre la désignation de Camille Bongou, à la Permanence du Parti pour qu’une expérience de la démocratisation de la vie du PCT soit amorcée à titre expérimental dans la région du Kouilou. Au cours de la session de son Comité régional dirigé par Camille Bongou, les responsables du bureau de cet échelon intermédiaire du parti sont démocratiquement élus à bulletins secrets et le candidat du Comité central à cette élection est battu.
Les caciques du PCT crient au complot institutionnel et réussissent à traduire Camille Bongou, Secrétaire permanent du PCT à la Commission Nationale de Contrôle et de Vérification du Parti. C’est dans ces conditions que la réforme du PCT à la base et à l’échelon intermédiaire est arrêtée.
À cause de cette décision, la grande réforme engagée n’a plus été poursuivie à l’échelle nationale, tant et si bien que le PCT s’est présenté en ordre dispersé à la Conférence nationale souveraine de 1991. La conséquence de cette situation a été l’implosion du PCT donnant lieu à une multitude de partis politiques au Congo. Pourtant l’objectif de la réforme consistait à consolider le caractère national de ce parti avant l’ouverture démocratique du pays.
Au IVè Congrès ordinaire du PCT, tenu du 26 au 31 juillet 1989 Camille Bongou, la deuxième personnalité du parti et du pays qui a reçu les félicitations pour la qualité de la préparation de ce Congrès et la clarté des documents, s’est trouvé évincé du Comité central avec la moitié du Secrétariat du Congrès.
Depuis cette date, a commencé la descente aux enfers de Camille Bongou qui a duré jusqu’à sa mort.

Pierre N’DION

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