Avec la pénétration coloniale vers la fin du XIXe siècle et l’évangélisation du Congo, le rôle des sociétés initiatiques traditionnelles s’est peu à peu estompé dans l’activité sociale. Certaines de ces sociétés cependant, à l’instar de l’école initiatique dénommée Otete (ou Otwere) ont survécu et continuent de transmettre leurs enseignements.

Docteur en anthropologie politique et maître assistant au Cames (Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur) à l’université Marien Ngouabi, Hygin Bellarmin Elenga nous restitue sous un angle critique, son travail de recherche sur la société initiatique Koyo, à travers un texte dense et fouillé, publié en 2022 à L’Harmattan : «Otete chez les Koyo de la République du Congo, Essai d’analyse sociologique.»
Les enquêtes qui ont conduit à l’élaboration de l’étude se sont déroulées pour l’essentiel à Manga et Owando en pays Koyo. Ainsi qu’à Brazzaville où Bellarmin Elenga s’est entretenu avec des ressortissants et des acteurs du monde politique originaires de la Cuvette, qui ont bien voulu répondre à son questionnaire.
Qu’est-ce donc cette société traditionnelle initiatique réservée aux hommes, et dont la date d’apparition en pays Koyo demeure inconnue de l’auteur ?
Otete nous dit Elenga «n’est rien d’autre, qu’une école de socialisation dont la philosophie profonde est de transmettre aux générations futures les fondements de la culture Koyo, au travers de ce qui constitue son identité.» En d’autres termes, Otete n’est pas une société initiatique où les rites magico-fétichistes seraient enseignés aux néophytes ; elle n’entretient aucun rapport avec la sorcellerie comme le précise Bellarmin Elenga : « Otete serait loin d’être une secte sorcière (…) Les enseignements dispensés n’auraient aucun lien direct et formel avec la sorcellerie et ne transmettraient rien de nuisible aux membres qui pourraient s’en servir pour faire du mal à leurs semblables (…) Les principes et les enseignements de cette institution ne seraient que de vocation éducative et de formation à la citoyenneté des hommes, sans influence liée à la sorcellerie (…) Sa philosophie profonde reste et demeure la préservation de l’harmonie sociale et le respect des traditions et coutumes du peuple Koyo.»
L’obela est la personne qui incarne l’autorité suprême de la confrérie et c’est lui qui, en cette qualité, répond des membres du groupe au cas où un conflit venait à surgir parmi les initiés, ou avec des personnes n’appartenant pas à l’institution.
Evoquant le caractère omniprésent d’Otete comme instance de régulation et de socialisation en pays Koyo, Bellarmin Elenga note : Otete est «l’expression du pouvoir traditionnel des Koyo. Un pouvoir qui gère tout cet espace, au plan social, administratif et politique.»
Il conviendrait ici, toutefois, de nuancer quelque peu cette idée, pour la simple idée raison qu’Otete n’est pas aussi souveraine qu’on serait tenté de l’affirmer. Face à l’Etat central et quand bien même certains de ses adhérents seraient des personnages influents au sein du pouvoir local, ou des sommets de l’Etat à Brazzaville, Otete n’est pas en mesure d’imposer comme elle l’entend ses choix politiques, en fonction de ses propres critères d’appréciation. Par exemple et pour faire court, il est peu probable que lors d’une élection à l’Assemblée nationale, Otete ait la possibilité de faire élire en toute quiétude d’esprit un candidat qui, pour des raisons diverses, ne bénéficierait pas de l’assentiment du pouvoir de Brazzaville.
Otete n’est pas seulement une société ésotérique. C’est aussi, en raison de son influence dans la communauté Koyo, remarque Bellarmin Elenga, une force politique qui, au cours des scrutins électoraux, s’emploie à orienter le vote des membres d’Otete et plus globalement de la communauté, vers les candidats de son choix.
On est frappé de constater à quel point le thème de la conquête et de la conservation du pouvoir tient une place quasiment centrale dans l’enseignement initiatique et les prescrits de la confrérie traditionnelle : «a ruse, les intrigues et toutes les manipulations liées au pouvoir sont prises en compte et traduites au jeune postulant à l’institution comme autant de stratégies à intérioriser pour conquérir ou conserver le pouvoir. Celui-ci est perçu comme un facteur important dont les fondements sont enseignés au jeune Koyo au quotidien, au Kandza (lieu où se déroule l’initiation ) ou à tout autre endroit.»
Au-delà des lignes consacrées à Otete à proprement parler, l’ouvrage de Bellarmin Elenga se présente comme une réflexion sur le pouvoir politique au Congo et en Afrique subsaharienne d’une manière générale.
Au Congo et dans d’autres pays du continent, les élites politiques de la génération des indépendances, ont eu tendance à mésestimer l’influence du monde traditionnel sur la société postcoloniale. Grosso modo, l’idée en vogue était que plus vite on se débarrasserait de la société traditionnelle perçue comme archaïque, mieux on avancerait dans le développement économique. De là, les chefs coutumiers et leur vision de la vie sociale devait être remisés dans les placards de l’histoire. Or la tradition dans sa diversité résiste face à l’imperium de la mondialisation, et son idéologie s’invite qu’on le veuille ou non dans le champ du politique «Le pouvoir politique, dans la plupart des Etats africains, au sud du Sahara, est géré selon les principes qui régissent les institutions traditionnelles comme Otete où la confiance et les liens de sang sont des indicateurs de compétence pour l’octroi de charges publiques.» Ce constat de l’auteur ne saurait être contredit par les plus sages et pertinents analystes politiques. Faut-il en déduire par-là, que le modèle démocratique occidental ne serait pas adapté à la réalité sociologique de nos pays ?
On retombe ici dans le sempiternel problème du modèle de gouvernance approprié dont a besoin l’Afrique pour promouvoir son développement. Mais Bellarmin Elenga nous rappelle à bon escient, ce qui suit : «La première coutume – de l’institution Otete, Ndlr – est le manque d’alternance au pouvoir. Seule la mort peut ouvrir l’alternance, mais à l’interne (…) Le Kani ou le Mwène l’est à vie.» Pour cette raison et pour bien d’autres pense l’auteur, un système tel celui d’Otete, qui pérennise le pouvoir d’un chef coutumier ne saurait servir de référence à un mode de gouvernance se réclamant de la démocratie. Pourquoi? Tout simplement, parce qu’un tel système qui remet en cause le principe même de l’alternance à la tête de l’Etat, ne peut conduire qu’à l’instauration d’un pouvoir de type dynastique.

Jean José MABOUNGOU