On est passé d’une présentation pyramidale de l’Eglise à une conception qui met l’accent sur la communion et la fraternité. La valorisation conciliaire de l’image ecclésiologique de Peuple de Dieu visait alors, entre autres, à susciter un «nouveau style de vie» au sein de l’Eglise, en rappelant le statut fondamental égalitaire qui fait de tous les baptisés des enfants d’un même Père.

Toutefois, et sans rien enlever à sa réelle portée, l’Eglise présentée comme Peuple de Dieu peut laisser apparaître comme un déficit de rapports fraternels entre ses membres, dans la mesure où elle met davantage en relief le lien vertical entre le peuple et son Dieu. C’est peut-être ce qui a poussé les pères synodaux de 1994 à développer l’ecclésiologie de l’Eglise-Famille de Dieu, visant pour les peuples d’Afrique «à embellir le visage de l’Eglise et à accroître sa force d’attirance en faisant d’elle une institution plus efficace au service de l’Eglise comme vie en Dieu trinitaire». De ce fait, une ecclésiologie n’a de valeur que si elle parle aux fidèles. Elle n’est pertinente que si, tout en disant l’être réel de l’Eglise, elle favorise une conscience d’appartenance et d’engagement des membres de l’Eglise.
Finalement, loin de s’opposer à l’Eglise-Peuple de Dieu, l’image de l’Eglise-Famille de Dieu vient la renforcer et l’expliciter: les membres Peuple de Dieu qui sont l’Eglise doivent vivre en véritables frères, conscients qu’ils constituent une seule et même famille dont Dieu est le Père. Et si c’était nécessaire, on pourrait bien réécrire le Can. 204 avec un nouveau mot sans trahir l’esprit du législateur ni en altérer le sens.
Can. 204, §1. Les fidèles du Christ sont ceux qui, en tant qu’incorporés au Christ par le baptême, sont constitués en peuple de Dieu et qui, pour cette raison, faits participants à leur manière à la fonction sacerdotale prophétique et royale du Christ, sont appelés à exercer, chacun selon sa condition propre, la mission que Dieu a confiée à l’Eglise pour qu’elle l’accomplisse dans le monde.
§2. Cette Eglise, constituée et organisée en ce monde comme une société [c’est nous qui soulignons], subsiste dans l’Eglise catholique gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques en communion avec lui.
On pourrait reformuler ce deuxième paragraphe ainsi:
§2. Cette Eglise, constituée et organisée en ce monde comme une famille synodale, subsiste dans l’Eglise catholique gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques, de quoi parlons-nous exactement?
Si l’on n’ajoute pas la notion de synodalité la question que nous pourrons poser serait la suivante:

De quelle famille s’agit-il?
En choisissant l’image de la famille pour illustrer la nature de l’Eglise et faciliter son assimilation par les peuples d’Afrique, le synode de 1994 a sans doute voulu souligner un certain nombre de valeurs à prendre en compte par les Eglises particulières d’Afrique. Mais il a également pris un risque qu’il nous semble important de relever ici, pour mieux l’écarter en modifiant la dénomination. Il serait donc plus aisé de dire Eglise-Famille-Synodale de Dieu même si la démarche synodale est consubstantielle à l’Eglise.
S’agissant du statut de la famille en Afrique, elle est généralement présentée comme une valeur sûre de renforcement des liens sociaux, un cadre chaleureux et revivifiant pour ses membres. Cela justifie bien le choix des pères synodaux d’en faire le fer de lance de la nouvelle évangélisation en Afrique. A travers elle, «les Africains pourraient mieux vivre le mystère de l’Eglise comme communion et en faire plus facilement l’expérience concrète, si l’on souligne davantage l’idée de la famille telle qu’elle est conçue en Afrique, surtout en ce qui concerne les valeurs de l’unité familiale et de la solidarité».
Mais l’examen de l’institution familiale en Afrique aujourd’hui fait ressortir des évolutions dont l’influence négative sur le comportement des individus est remarquable.
Saint Jean Paul II, dans son exhortation apostolique Familiaris Consortio avait déjà ressenti l’urgente nécessité de nous dire que la situation de la famille présente des aspects positifs et négatifs.
Le Cardinal Robert Sarah dans son entretien sur la foi: “Dieu ou Rien”, n’ignore pas que notre large tissu social l’ethnie et le village est une appartenance qui fait aujourd’hui l’objet de grandes perversions surtout lorsque ces ethnies rentrent dans des logiques d’orgueil, de haine et de mépris des autres.
Dans son homélie prononcée lors de la clôture de la XIe Rencontre mondiale des familles, le Souverain pontife, le Pape François a souhaité réaffirmer la beauté de la famille et qu’elle soit protégée des poisons de l’égoïsme, de l’individualisme, de la culture de l’indifférence et du rejet, et qu’elle ne perde pas ainsi son «ADN» qui est l’hospitalité et l’esprit de service.
La famille actuelle présente plusieurs indices d’une dégradation préoccupante de certaines valeurs fondamentales: une conception théorique et pratique erronée de l’indépendance des conjoints entre eux; le nombre croissant des divorces; la plaie de l’avortement; le recours sans cesse plus fréquent à la stérilisation; de graves ambiguïtés à propos du rapport d’autorité entre parents et enfants; des difficultés concrètes à transmettre les valeurs.
Ici et là, on voit se restreindre le cercle familial à la seule famille nucléaire. S’agissant de la solidarité, elle est de moins en moins visible. Et, quelquefois, cette solidarité se manifeste au détriment de la société globale, notamment lorsqu’il s’agit de préserver des positions de pouvoirs, entraînant alors différents maux: tribalisme, clanisme, népotisme, etc.
En outre, l’organisation traditionnelle de la famille en Afrique a pour souci de situer socialement les personnes sous forme pyramidale. Dans ce contexte, certaines catégories sociales sont souvent marginalisées et leur participation n’est pas rassurée dans le processus de prises de décisions. C’est le cas notamment des femmes et enfants, par exemple. Or, l’organisation canonique de l’Eglise-Famille-Synodale tout en retenant le principe hiérarchique qui classifie les fidèles en grandes catégories, rappelle l’égalité fondamentale de tous en tant que membres du Christ (Can. 204, 207 et 208, CIC 83). En conséquence de ce statut d’égalité, chacun est fait participant dès lors, de l’entreprise évangélisatrice, conformément à son statut.
Et la diversité de participations des différentes catégories de fidèles fait l’unique mission ecclésiale.
Tenant compte de ce qui précède, il y a lieu de ne pas négliger le fait de voir introduire le caractère biologique dans l’idée d’Eglise-Famille, avec des conséquences néfastes que l’on peut imaginer. Le législateur canonique conscient de cette réalité, fixe des limites de consanguinité pour la nomination à certains offices ecclésiastiques ou pour le jugement de causes. Ainsi, et à titre d’exemple, il n’est pas permis à l’évêque diocésain de nommer ses consanguins jusqu’au quatrième degré, aux charges de vicaire général et vicaire épiscopal (Cf. Can. 478 §2). Ces mêmes proches parents de l’évêque sont exclus du Conseil diocésain pour les affaires économiques (Cf. Can. 492 §3). C’est pourquoi, il convient de rappeler que l’Eglise-Famille n’est pas donnée à priori. Bien au contraire, elle est à construire en référence
non plus à la famille humaine, mais à la «famille synodale» trinitaire, signe de la communion entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Elle doit également s’édifier en acceptant de critiquer et de purifier les imperfections de la famille en Afrique et même en Europe.
Il est donc question d’aider l’Africain à se sentir dans l’Eglise comme dans une vraie famille. La famille dont il s’agit ici est la famille synodale de Dieu, c’est-à-dire l’ensemble des personnes qui, ayant reçu le baptême reconnaissent Dieu pour père et le Christ pour frère. La famille de Dieu ne laisse pas la place au tribalisme, au népotisme. Elle ne se limite pas à la consanguinité et instaure une nouvelle fraternité, plus forte, plus solidaire, tournée vers sa fin eschatologique où tous auront une place. L’Eglise-Famille-Synodale de Dieu à construire sera alors capable de promouvoir et de proposer des valeurs fortes face à une société ambiante à la recherche de ses repères. Elle sera à même de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie des traditions africaines, permettant alors d’élever au niveau de l’universalité ce que l’Afrique a de merveilleux.

Abbé Christian Noël DEMBI KOELA
(Juriste et islamologue)