Après avoir reçu plusieurs réactions, et de nombreux coups de fil au sujet de l’article de l’abbé Christian Noël Dembi Koela, prêtre de l’archidiocèse de Pointe-Noire, juriste, islamologue, publié dans nos colonnes, nous nous sommes rapprochés de l’abbé Jonas Koudissa, prêtre de l’archidiocèse de Brazzaville, aumônier des Elites, des hommes et des femmes politiques, directeur de l’Académie catholique de Brazzaville pour l’éthique (ACCABE), du Bureau de liaison avec le Parlement (BLP). Il nous a reçus au siège de l’ACCABE et du BLP qui sont des locaux qui font partie de l’Aumônerie des Elites, des hommes et des femmes politiques.

*Père, nous avons reçu plusieurs réactions, au sujet de l’article de l’abbé Christian Noël Dembi, intitulé: «Même après 140 ans, notre Eglise demeure immature» publié dans l’édition n° 4177 du vendredi 12 mai 2023, en page 8. Nous nous sommes rapprochés de vous pour recueillir votre avis, votre réaction par rapport à cet article.

**Je ne sais pas qui m’a établi objecteur de consciences, mais puisque vous venez me voir, je suis obligé de dire ce que je pense sur cet article que j’ai lu, qui m’a aussi un peu intrigué comme beaucoup de vos lecteurs. Le titre, je le trouve un peu maladroit. Et le contenu aussi. Je ne partage pas cet avis selon lequel notre Eglise serait immature, sur le plan financier et matériel, nous sommes dépendants de l’aide extérieure, je m’inscris en faux par rapport à cette affirmation de base. Je peux vous dire que chaque jour lorsque je mange à table, ce n’est pas grâce à l’argent qui vient de l’extérieur, ce sont les chrétiens. D’ailleurs, dans la prière que je dis à table, je demande toujours au Seigneur de bénir la table et de bénir la générosité des chrétiens qui nous font vivre chaque jour. Et, je ne parle pas que de la nourriture au quotidien, j’ai lu aussi que notre personnel serait payé grâce aux subsides. Là aussi, je m’inscris en faux. J’ai été curé pendant six ans, je n’ai jamais payé mes travailleurs avec l’argent venu d’ailleurs. J’irai même plus loin, j’ai dirigé un chantier pendant tout ce temps-là, jusqu’au moment où je suis parti, nous avons dépensé un peu plus de 180. 000. 000 Frs (Cent quatre vingts millions de francs CFA). Sur ces 180. 000. 000 Frs, il n’y avait que 10. 000. 000 Frs qui étaient venus de l’étranger et le reste a été réuni grâce aux collectes des chrétiens. On ne peut donc pas affirmer ça. C’est beaucoup d’incompréhension pour les chrétiens qui sont offusqués. Le dire, c’est vraiment manquer de gratitude vis-à-vis de nos chrétiens. Voilà ce que je peux dire là-dessus.

*Qu’est-ce que vous reprochez à cet article?
**C’est la démesure. Ce n’est pas parce qu’on a une idée peut-être juste, qu’il faut en faire trop. Tel que c’est exprimé, sur la forme, on peut aussi dire quelque chose. Tel que c’est dit, c’est jeter l’eau sale et le bébé avec. Bien sûr que nous ne sommes pas encore arrivés à un niveau d’autonomie et aussi, à la partie missionnaire qu’il évoque aussi si bien, mais, il faut placer les choses à leur juste valeur, ne pas jeter le discrédit sur l’Eglise, sur toute la chrétienté congolaise qui serait pingre, qui ne saurait pas prendre ses responsabilités pour construire son Eglise, on ne peut pas dire ça. Si on pouvait faire un audit, on aurait dû remarquer que les chrétiens congolais s’investissent bien dans la construction de leur Eglise. Les églises sont construites avec la force des gens. Il y a certes des subsides qui viennent et qui viennent en appoint. Si je prends les séminaires, on reçoit combien de Rome ou d’ailleurs pour les séminaires? Ce sont nos chrétiens qui font vivre les séminaires. Le séminaire Saint Jean à Brazzaville (Ndlr: actuellement, Maison Théophile Mbemba) est fermé parce qu’on n’a pas l’argent. Pourquoi n’a-t-on pas reçu des millions de l’étranger pour sa réouverture? Voilà, je pense que mon jeune confrère aurait pu revoir sa copie, peut-être la faire relire, pour équilibrer et faire avancer les choses. Pour finir, mon confrère évoque l’application du Droit canon. Mais, si la solution, c’est d’appliquer le Droit canon pour sortir de cette immaturité, je pense qu’on n’est pas allé très loin. Je m’attendais à lire des résolutions objectives et futuristes. Je pense qu’on doit être modeste, mesuré. Je ne partage pas cet avis, ni dans le fond, ni dans la forme.

*Quelles sont vos suggestions pour l’avenir ?
**Je ne vais pas m’attarder sur mon confrère. Mais, il a posé une question qui est réelle. La question de l’autofinancement. Ce n’est pas en fustigeant les gens qu’on va y parvenir. Il faut mobiliser davantage les chrétiens afin qu’ils prennent conscience que leur rôle sera de plus en plus remplaçable. J’ai vécu longtemps en Allemagne où il y a les plus grandes institutions financières de l’Eglise : Miseror, L’Eglise en détresse, Missio et j’en passe. C’est pour dire que plus le temps va passer, moins nous aurons des subsides. Il faut que nos Eglises se réveillent. Il fallait exhorter les chrétiens à aller plus loin dans cet effort d’autofinancement de notre Eglise. Ça c’est une chose, mais aussi, améliorer notre gestion des biens temporels. Et améliorer la gestion, ce n’est pas seulement bien gérer l’argent qu’on nous donne, mais aussi apprendre à investir pour fructifier ce que nous recevons, comme on le dit dans la langue de ma mère: «Wa dia fua yika dio». Nous devons sortir de ce binôme: «Recevoir-dépenser» pour aller dans le binôme: «Recevoir et mettre en valeur». Et mettre en valeur, c’est fructifier, planifier, faire des réserves pour l’avenir. Notre Eglise est en train de grandir, notre clergé grandit également, nous aurons besoin d’avoir des solutions globales, efficaces, par exemple pour prendre en charge les prêtres âgés. Mais, comment le ferons-nous, si on n’a pas de structures conséquentes, comment le ferons-nous si nous n’avons pas de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins des prêtres. Je me souviens, j’étais à Stuttgart en Allemagne, en 2008, je crois, j’avais reçu une lettre du vicaire général qui nous annonçait que les montages financiers qui avaient été faits par le passé, permettaient à l’Eglise de garantir à tous les prêtres âgés et à tous les prêtres en fonction leurs salaires et leurs pensions, quand bien même l’Etat ne verserait plus l’impôt à l’Eglise catholique. Dans ce diocèse, ils étaient capables de garantir les salaires de tous les prêtres y exerçant leur ministère, nous étions environ un millier de prêtres en fonction. C’est à ça qu’on doit arriver. Nous y parviendrons, si nous allons ensemble, pas en rangs dispersés, pas en jetant l’opprobre les uns sur les autres.

*Et en guise de conclusion à notre entretien ?
**Je vous remercie de m’avoir honoré en venant me voir. Je n’ai pas la prétention d’avoir dit la vérité, mais je prends simplement la parole à la place de beaucoup d’autres qui auraient pu la prendre, pour dire que c’est bien de s’exprimer de façon critique, mais il faut y mettre la forme et la retenue. Je vous remercie.

Propos recueillis par
Gislain Wilfrid BOUMBA