S’il y a un pays qui devait s’engouffrer dans la vague actuelle d’émotions et de révolte contre les passés, esclavagiste ou colonial, le Congo devait être de ceux-là. Non seulement sa capitale, Brazzaville, n’a jamais donné l’impression de vouloir s’ébrouer d’un tel passé colonial, mais encore les rares fois où des velléités ont poussé le pays à vouloir changer les noms, il est vite revenu de ses prétentions. Volontairement ou pas !
Qu’on se souvienne du cas emblématique de Loubomo, anciennement Dolisie, aujourd’hui redevenue Dolisie. Les gares de Hamon, Baratier, Brusseaux, Marchand, Marche, Des Chavannes, Le Briz, Jacob, Fourastier, Guéna, Patras ; la ville de Fort-Rousset : toutes ont bien changé de nom. Qui a vingt ans aujourd’hui n’a aucun élément de l’Histoire le rattachant à ces exotismes.
Mais est-ce un bien, ou un mal? Avons-nous gagné en indépendance et en plus de souveraineté en ayant changé les noms coloniaux? Si oui, pourquoi l’avoir fait à moitié? Si non, pourquoi ne pas s’être joint à l’émotion protestataire qui a secoué la planète et fait déboulonner des statues lorsque George Floyd est mort étouffé sous le genou d’un policier américain blanc il y a quelques semaines ?
Aujourd’hui, une image puisée dans l’actualité de l’autre bout du monde, fait le tour de la terre en quelques secondes. On dit qu’elle devient «virale». A l’heure des virus qui mettent le monde à genoux précisément, on ne pouvait trouver meilleure désignation. Sauf que, même dans l’adjectif, la charge nuisible du poison demeure: ce qui est viral est rarement curatif.
Non que changer pour changer nous avance à quelque chose. Ni que faire comme le voisin nous qualifie plus dans un quelconque développement durable. Mais ne pas se poser la question – et y répondre – nous acculent à repousser un débat qui, un jour ou l‘autre, se posera. Les nouvelles générations ont leurs problèmes et qui ne se justifient pas toujours par l’esclavage ou la colonisation. Mais les questions qui ne se posent pas aujourd’hui surgiront de leurs têtes peut-être un jour.
Un chauffeur de taxi me demandait où se trouve La Semaine Africaine. Je lui répondis: «Boulevard Lyautey». Il faillit s’étrangler. Il retrouva la sérénité quand je lui précisai: «C’est en face du CHU, à l’entrée de Chaminade». Indicateur d’un malaise ou marqueur d’une grande accoutumance à l’incongru?
Albert S. MIANZOUKOUTA