Un mois avant son assassinat le 22 mars 1977, le cardinal Emile Biayenda avait reçu les vœux temporaires de sœur Marie Brigitte Yengo, de la Congrégation des religieuses congolaises du Rosaire, fondée par Mgr Théophile Mbemba, premier archevêque congolais de Brazzaville. A l’occasion de la commémoration le 22 mars dernier du 44e anniversaire de la mort du cardinal Emile Biayenda, sœur Marie Brigitte Yengo, présidente de la fondation qui porte le nom du vénéré cardinal, a bien voulu se prêter aux questions de La Semaine Africaine.

* Le 22 mars 1977 disparaissait de manière tragique le cardinal Emile Biayenda. Aujourd’hui, 44 ans après, que peut-on retenir de ce grand Pasteur?
**Je revois toujours sa réponse à l’appel de Dieu qui était totale et sans réserve, exprimée à travers sa vie d’humilité, de service, de pasteur, de martyr, pour accueillir la grâce divine à toutes les situations. Nous avons tous lu avec passion durant sa neuvaine du 13 au 21 mars 2021, combien ce grand pasteur a souffert en 1965 avec des moments d’emprisonnement et de supplice dans son corps meurtri et plein de marques de tortures. Malgré les obstacles rencontrés dans son parcours, il n’avait jamais vécu en homme découragé et sans espérance. Il vivait uniquement de sa foi avec de véritables actions qui laissaient place à l’action salvatrice de Dieu, dans le principe véritable des Béatitudes.
En effet, «La pierre rejetée des bâtisseurs, reste et demeure la pierre d’angle, et c’est là l’œuvre du Seigneur, une merveille à nos yeux». Sa vocation sacerdotale, couronnée de multiples élévations, a résumé son obéissance et sa fidélité à son maître qui, d’un seul coup, a su le faire pénétrer dans son amour imprégné de charité, qui ne désirait que le salut de tous les congolais. Il a prêché et vécu une vie de paix autour de tous ceux qu’il instruisait dans son pays. Il avait accumulé par son engagement et enregistré en faveur de toutes les causes nationales, les fruits de la grâce de Dieu. Il était en avance avec son temps, ce plus jeune cardinal de 46 ans, qui côtoyait tous les séniors du Vatican et lancé l’œcuménisme au Congo pour être dans le bain de la source de l’amour, réconciliateur de Dieu en Jésus-Christ. Ce grand pasteur a opéré à travers l’histoire aujourd’hui et l’intermédiaire du Saint-Esprit, l’unité des chrétiens, comme un réel et solennel évènement de la communion de toutes confessions religieuses. Ce véritable héritage continue à prendre corps dans toutes nos Eglises sœurs et garder ainsi l’universalité de notre foi en Jésus-Christ, mort et ressuscité pour nous tous. Dans sa lettre pastorale sur: «Le Chrétien dans la Communauté nationale» du 14 février 1972, il écrivait: «Au nom même de la foi, le chrétien doit s’engager à militer pour la justice, l’égalité et la paix entre tous. Au nom même de la foi, il s’adonne au travail pour conquérir le plus et le mieux être pour lui-même et ses concitoyens». Ce message du Bon cardinal Emile Biayenda reste d’actualité et devrait tous nous interpeler.

* Vous êtes l’une des Religieuses à avoir émis les vœux temporaires entre les mains du cardinal Emile Biayenda le 20 février 1977. Peut-on dire que c’était votre dernière entrevue avec ce dernier et quel souvenir en gardez-vous?
**En nous consacrant avec ma consœur, sœur Marie Jeanne NDISSA le 20 février 1977, le cardinal nous a données en cadeau spirituel extraordinaire en nous imposant ses mains sa plus grande bénédiction paternelle. Avec le recul, je sens qu’il a et continue de raviver en moi la flamme de ma vocation en don véritable de Dieu. Il m’arrive de revoir comme un film ce moment intense de prière au cours de la célébration eucharistique de nos premiers vœux. Je sentais le Christ qui par Saint Jean 17,17 parlait au Bon cardinal Biayenda ce jour-là: «Consacre les dans la vérité; ta parole à toi est vérité, comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi, je les ai envoyés dans le monde. Et, pour eux, je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité». Ce discours de Saint Jean est celui du cardinal. Pour moi, c’est une révélation du Christ qui m’exhorte en disciple aimant et spirituel que je dois être. Avant son assassinat, beaucoup de faits et gestes de sa part envers moi s’étaient exprimés, surtout quand j’avais assisté à sa dernière messe du 22 mars 1977 au matin dans son oratoire, après avoir terminé la nôtre (messe) à la cathédrale Sacré-Cœur, célébrée à 6h par Mgr Louis Badila, alors vicaire général. Oui, en effet, notre consécration englobe de nombreux souvenirs inoubliables de portée historique, aujourd’hui exaltante mais aussi intérieure dans la simplicité qui caractérise ce qu’il y a de plus personnel, de l’abandon de moi-même en ce dernier adieu de notre «Papa cardinal», supérieur général de notre Congrégation diocésaine, fondée par son aîné et prédécesseur d’heureuse mémoire, Mgr Théophile Mbemba. Que son sang de martyr, uni au précieux sang de notre Seigneur Jésus-Christ, nous donne plus que jamais les grâces de paix dont nous avons tous besoin pour notre peuple!

* Vous avez créé une fondation qui porte le nom du cardinal Emile Biayenda: Quel genre d’activités y menez-vous?
**Le cardinal Emile Biayenda, tout au long de sa vie pastorale avait travaillé à ce que l’homme réussisse et aille de l’avant, comme l’a voulu Dieu. C’est ainsi qu’il s’est beaucoup préoccupé de la famille, cellule de base de toute société, lien et lieu d’amour, lequel aboutit à l’épanouissement de l’enfant dans l’affection et l’éducation. C’est aussi dans ce sens que l’action et l’amour du cardinal Emile Biayende se sont portés sur les «Laissés pour compte»; ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une famille, une éducation, ou en sont devenus dépourvus. A tous, il avait donné le témoignage d’une vie de charité, dans le respect de la vraie dignité de l’homme. C’est pour perpétuer cette action et cet amour que j’avais créé la fondation cardinal Emile Biayenda (FOCEB), dont les activités sont basées sur la redynamisation des valeurs familiales, la promotion des personnes malades et avec handicap avec les créations de nombreux ateliers (soudure avec fabrication des tricycles que nous octroyons et des grilles, couture, poteries, vanneries etc.). Nous envisageons également la formation des jeunes en électricité, briqueterie, menuiserie, mécanique, formation de toutes sortes pour un emploi. Nous soutenons les enfants abandonnés et les personnes désœuvrées. Nous avons une école des enfants intellectuellement handicapés. Nous soutenons l’école des aveugles et assurons que les malvoyants puissent obtenir des cannes blanches pour leur mobilité. Nous avons envoyé de nombreux jeunes en formation à l’école des Beaux-arts de Poto-poto, pour l’art de la peinture et de la musique. Dans les centres de polios, nous formons des nombreux jeunes en rééducation fonctionnelle et dans le métier de la pharmacie dans l’enceinte de la FOCEB à Moungali, au quartier des Dix maisons. Au centre d’appareillage, la fondation cardinal Emile Biayenda a un grand cabinet dentaire. Dans ce don d’amour, de générosité et de «fiat», le cardinal Emile Biayenda donnait déjà lui-même l’exemple de la pauvreté évangélique et il insistait toujours en souriant: «Ayez un cœur de mère, un esprit de jeunesse, une disponibilité d’enfant, un don de dévouement, une main offerte …». C’est donc dans ce sens que nous avions proposé de fixer et de mettre en valeur, l’essentiel des orientations pastorales, humanitaires et spirituelles de l’illustre disparu.

* En votre qualité d’administratrice des biens de la cause de béatification et de canonisation du cardinal Emile Biayenda, dites-nous, où en sommes-nous avec ce processus?
**Avec la grâce de Dieu et l’aide du cardinal Emile Biayenda lui-même, nous avançons mieux vers le large pour pouvoir jeter le filet, et prendre sa devise dans Luc 5 verset 5 comme modèle d’exécution: «Sur ta parole, je jetterai le filet». Au préalable, une cause de béatification et de canonisation, qui en raison de sa complexité, demande beaucoup de travail, entraîne des dépenses surtout pour mettre en exergue la figure du Serviteur de Dieu, ici, c’est le Bon cardinal Emile Biayenda. En qualité d’administratrice de la gestion des biens de la cause, il est demandé outre la comptabilité, de rédiger annuellement les bilans, préventifs et récapitulatifs à soumettre au promoteur pour approbation. Et nous l’avons fait avec l’Archevêque. Pour être plus opérationnels, il nous a été demandé d’archiver tous les documents du Serviteur de Dieu et de recenser tous ses biens. Ces derniers sont par exemple: la montagne à Djiri, sa chambre au presbytère de la cathédrale Sacré-Cœur de Brazzaville, sa tombe à coté de celle de Mgr Théophile Mbemba, et même dans son village natal, dans le diocèse de Kinkala.
Il nous a été recommandé entre autres dans un courrier, de demander à la communauté chrétienne, à l’ensemble du clergé, à la famille, aux amis et connaissances, s’il y aurait un bien qui appartiendrait au cardinal Emile Biayenda, de le signaler ou le rendre obligatoirement à la commission de la cause, en vue de le comptabiliser et de l’archiver.
Eu égard de ce qui précède, nous continuons de prier avec dévotion pour que cette cause aboutisse le plus rapidement possible, pour le bien être de tous les Congolais et des fidèles du monde entier. Nous savons que rien n’est impossible à Dieu et le cardinal de nous le signifier lui-même en confiance en ces termes d’espérance: «Tout dévoile le plan de Dieu, tout est pédagogie de Dieu, tout est amour de Dieu, tout est volonté de Dieu, et tout est grâce avec Dieu, Amen».

Propos recueillis par
Pascal BIOZI KIMINOU