Avec le Concile Vatican II, l’Eglise s’ouvre manifestement aux dimensions du monde car, «les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur». C’est ainsi qu’apparaît dans l’Eglise les différentes expressions de foi selon la manifestation de l’Esprit Saint.
La piété populaire s’inscrit donc dans cette perspective, car elle peut aider à susciter l’éveil de la foi et vivre la secuela christi selon la sensibilité et la disposition de chacun devant le mystère chrétien. La piété populaire ou la foi populaire est donc l’expression de la largesse de l’Eglise envers les fidèles chrétiens de toute marque et de toutes catégories de pouvoir vivre leur foi de diverses manières sous la mouvance de l’Esprit Saint. Tant qu’elle se range du côté des exercices de piété naturellement facultatifs, la foi populaire se distingue cependant des actions liturgiques fondamentales et obligatoires pour l’Eglise, comme l’Eucharistie, la liturgie des heures et les sacrements.
Aujourd’hui, à côté de ces différentes expressions de foi, Chapelet, prière spontanée, Triduum, Neuvaine, Trentaine et bien d’autres encore, s’observe un nouveau phénomène, nouvelle marque de piété populaire qu’on appelle communément neuf grottes. De quoi s’agit-il? Les neuf grottes constituent un pèlerinage marial de prière qui exige la visite et la présence physique en un jour à neuf endroits différents où l’on peut trouver une grotte mariale ou du moins une statue de la Vierge Marie. Durant ce parcours en forme de chemin de croix, les pèlerins confient au Seigneur par Marie leurs intentions particulières et diverses. Nous pouvons donc dire que les neuf grottes s’inscrivent dans le prolongement de la dévotion mariale. Cependant, cette pratique n’est observable que dans les contrées urbaines à cause certainement de la proximité entre paroisses et grâce à la facilité des moyens de transport commun et privé. C’est ainsi qu’on assiste à un schéma selon lequel, pour le cas de Brazzaville sud on peut avoir pour itinéraire: le Point A=Notre-Dame du Rosaire de Bacongo; point B= Foyer Abraham de total; point C= Saint Kisito; D= Ngangouoni; E= Les Saints Martyrs de l’Ouganda; F=Grand séminaire; G= Saint Jean Apôtre ; H= Frères Gabrielistes; point I= Ndona Marie, comme terminus. Cet ordre n’est pas statique, et n’obéit qu’à une zone pastorale dans laquelle nous avons axé nos recherches, mais le phénomène est visible dans la plupart des diocèses urbains du Congo.
Le tour de toutes ces paroisses constitue à n’en point douter un vrai pèlerinage de prière et les fruits se savourent selon les dispositions de chacun et selon la bonté infinie du Père, dont les chemins sont insondables, et qui nous accorde ses grâces par son Fils, dans l’Esprit Saint.
A l’opposé du visible phénomène en ville, en campagne la pratique n’est presque pas connue à cause très certainement des longues distances géographiques, séparant une paroisse à l’autre; il faut donc parcourir par exemple 10 Km, voire plus, d’un point A à un point B, et cela paraît de la mer à boire. À ce gigantesque effort s’ajoutent d’énormes difficultés liées à la pastorale rurale et à la précarité de la vie en campagne, la plupart sinon presque tous, vivant des activités agro-pastorales et consacrant leur journée à travailler la terre. L’exercice des neuf grottes comme piété populaire n’est donc pas favorable dans les diocèses ruraux, pour ces raisons sus-évoquées. Il est donc l’apanage des contrées urbaines.
Nous pouvons donc inscrire ce phénomène dans le sillage des manifestations de l’Esprit qui agit en toute liberté. La dévotion mariale est déjà bien assise dans notre terre congolaise notamment avec la présence massive des mouvements mariaux dans nos différentes paroisses en ville comme en campagne.
Cependant, comme un phénomène nouveau, les neuf grottes donnent à réfléchir. A quel souci pastoral répond-il? Est-il une forme abrégée d’une neuvaine mariale?
Quelles que soient les raisons de sa particularité, nous sommes devant une évidence: le phénomène est bien présent et souffre des tares qu’il faut absolument corriger. En effet, la plupart de ces pèlerinages se transforment en des séances spectaculaires et tapageuses d’exorcisme ou de délivrance passionnelle très souvent par un «berger». Nous sommes sans oublier que l’Esprit du Seigneur peut agir même dans les circonstances les plus douteuses de notre existence. Dans le même élan, il n’est pas aussi rare de rencontrer les pèlerins des neuf grottes témoignant des fruits et des bienfaits de cet exercice spirituel.
Du côté de l’Eglise, notamment du clergé, pour quelques-uns, le phénomène semble parfois inquiétant à cause d’un certain libéralisme qu’il occasionne au sein de l’Eglise; d’autres par contre dans le souci d’instruire, essaient d’accompagner ces groupes de pèlerins à éviter les dérapages. Cette deuxième option semble plus responsable. En effet, devant ce fléau, l’Eglise est appelée à renforcer, en amont et en aval, la formation spirituelle des chrétiens, en mettant notamment l’Eucharistie, «source et sommet de la vie chrétienne», au cœur de ce pèlerinage marial, soit au début soit à la fin.
En fait, le clergé ainsi que les responsables des mouvements d’apostolat devraient veiller à ce que lors d’un pareil pèlerinage, les pèlerins soient accompagnés d’un prêtre pour canaliser les déviances et centraliser la prière en Jésus par Marie. Il faut que l’Eglise affronte ces réalités actuelles avec discernement et courage, en les acceptant comme motion de l’Esprit en son sein, Lui qui fait feu de tout bois.
Les difficultés d’une telle pastorale sont énormes, car de plus en plus, la dévotion mariale se propage et atteint les frontières des différentes professions religieuses. La Vierge Marie, n’est pas que priée par les catholiques, mais aussi par les chrétiens d’autres obédiences religieuses. Puisque les diocèses ruraux sont épargnés de ce fléau, mais peut-être devraient s’y préparer pour l’avenir, les diocèses urbains doivent prendre à bras le corps cette réalité et proposer des formations et des manuels pour canaliser les déviances qui s’y observent déjà.

Balmin Venceslas TELOTSAMOU,
IVe Année de Théologie,
Grand Séminaire Cardinal Émile Biayenda de Brazzaville.