Dans son recueil de poèmes publié en 2018, intitulé: «Ce pays sous ma peau», le deuxième de sa bibliographie, le poète congolais Maha Lee Cassy développe une écriture sobre, à l’image de ses poèmes limpides aux structures variables. De ce fait, le poème se veut parole écrite. D’où le choix du vers libre et l’absence de titre. La thématique principale de ce recueil est l’enracinement qui se pose en majuscule comme un appel à la source originelle de tout homme. Ainsi, la poésie de Maha Lee Cassy revêt la dialectique de l’enracinement et de l’ouverture.

Cependant, nous dirons que les cinquante et un poèmes de ce recueil constituent une parole unitaire émise d’un souffle d’initié, plutôt que de poète. Car, la part de la tradition est si forte qu’elle tinte toute l’écriture poétique de Maha Lee Cassy dans ledit recueil. Cette parole est tantôt flux verbal, tantôt sentence: «Les pieds ne marchent pas côte à côte/lorsqu’on est unijambiste» (P.21), interrogation: «Tu as perforé ma peau/As-tu bien réfléchi ?» (P.26), ou questionnement: «Lorsqu’une personne qui nous est chère/Part pour un voyage sans retour/Au pays des ancêtres/Est-ce lui: qui emporte une partie de nous/Ou est-ce nous: qui gardons une partie de lui ?» (P.23).
Il sied de dire que le poème le plus dense de ce recueil est un monologue qui s’étale sur trois pages (26, 27,28) et le plus court se présente sur une ligne (P.41).
Ce recueil s’ouvre par le seul élément intertextuel perceptible qui est la citation de Ménandre ou Ménandros, ce poète comique grec qui a vécu la décadence de la cité antique d’Athènes comme une manière de faire le pont entre le poète de jadis dont la terre était la divinité même et celui d’aujourd’hui qui la porte comme une hypostase.
La dédicace fournie est une litanie de noms comme une façon pour le poète de montrer son affection, son amour et sa gratitude envers les siens (P.8). Le poète évoque deux ouvrages importants, l’un faisant partie de la littérature universelle et l’autre de la littérature congolaise, à travers ces deux vers: «Père pourquoi m’as-tu m’abandonné» (P.20) qui nous rappelle sans l’ombre d’un doute la Bible et la locution-phrase: «Vogue la galère…» (P.10) qui est un clin d’œil à Tchicaya Utam’Si: «Le père de notre rêve», pour reprendre la célèbre formule de Sony Labou Tansi dans la revue Notre Librairie portant sur la Littérature Congolaise.
Un autre élément important est le titre abstrait de ce recueil de poèmes quasi allégorique: «Ce pays sous ma peau» qui pose la problématique originelle et universelle, à savoir: «Comment habiter le pays?». A cette question, le poète clame un enracinement altier qui est une manière ouverte et absente d’habiter le pays. D’ailleurs, cette thématique constitue le socle de cette parole initiatique et poétique. Concernant l’enracinement, Simone Veil affirmait: «L’enracinement est peut-être le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humain… »- L’enracinement, 1949 -. Par ailleurs, la thématique de l’enracinement est un macrocosme dans lequel gravitent plusieurs microcosmes comme l’évocation subliminale de la terre natale, l’histoire et l’engagement.
Dans cet élan, Maha Lee Cassy célèbre le pays qui la vu naître, avec la nostalgie de ce fleuve «qui file le parfait amour» (P.30). Il interroge le quatrième élément de la matière, l’air, pour se ressouvenir de sa terre oubliée et déchirée par les hommes (P.45-46). Il n’oublie pas son village où trône «cet arbre étrange…mon baobab» (P.58). Le poète dit son désir de célébrer son pays en convoquant sa cosmogonie: «J’aurais aimé convoquer toutes les étoiles/pour célébrer la beauté naturelle/de ce pays mien» (P.50).
Face à l’enjeu d’habiter le pays, le poète fait corps avec sa terre et interpelle l’histoire faite de tourment et de larme: «Sur le champ de bataille/je suis ce tirailleur» (P.32-33). Mais il n’hésite pas de dénoncer les plaies qui minent sa terre et de prendre parti: «Je suis le Pool. Le Pool est en moi. Le pouls est mon cœur» (P.27). Quel humanisme ! Le poète s’insurge face à ce pays qui délaisse sa jeunesse: «Je ne reviendrai pas vers toi/Ô pays natal si tu continues à me vendre pièce par pièce au plus offrant» (P.22). Un seul poème évoque la femme, cet être alter ego de l’homme que le poète présente au créateur en ces termes: «Mais la femme oh mon Dieu la femme/Ouvre tes yeux et regarde: voici ton monde» (P.38).
Le bestiaire est très présent dans ce recueil. L’on n’est tenté de parler d’un recueil faunique où les grands mammifères côtoient les animaux de basse cours et les insectes (P.10, P.17, P.39)…
À propos de l’écriture poétique de Maha Lee Cassy, l’élément énonciateur est le «Je». Mais il ne se prive pas d’alterner avec la deuxième personne du singulier, «Tu». À titre d’illustration: «Je sais» (P.10). Mais l’énonciation se traduit aussi dans le discours citant-cité: «J’ai dit/Mon ombre a dit» (P.17). Une manière de construire un discours proche de l’oralité. Ce qui établit un parallélisme entre Maha Lee Cassy et Gabriel Mwènè Okoundji.
L’enracinement peut-être scruté davantage sous le prisme de quelques éléments liés à la dimension anthropo-sociale du poète tel ce vers: «Au creux de l’oreille des oiseaux aux plumages de raphia» (P.11). Le raphia qui est un tissu local fait de fibre de palmier. Mais aussi l’évocation de la danse «Egondza» (P.60). L’altérité du poète se désigne à travers son parcourt de vie, lui le Congolais vivant à Paris ayant épousé une Philippine et visité la corne de l’Afrique.
La couverture de ce recueil est un mélange de couleurs (Violet, jaune, bleu), comme une invite à l’universel.
Enfin, je vous invite à découvrir ce poète au talent immense dont la parole unitaire se puise au creuset de sa terre congolaise comme une manière d’enfoncer ses racines dans l’humus et, de se connecter aux ancêtres. «Ce pays sous ma peau» est un éloge à l’identité d’une terre vivante en chacun de nous.

Descieux
P. INIANGA BASS
Etudiant en Master II Langue française et texte littéraire (L.A.F.T.E.L.)

Maha Lee Cassy – «Ce pays sous ma peau» – (Poésie) – Vosges, Les Editions +, 2018, 69 Pages.