En 2020, Simon Batoumeni livrait aux lecteurs une importante étude de l’histoire politique du Congo-Brazzaville. Le voilà qu’il nous revient avec un nouvel essai: ‘’Vues de l’intérieur, Réflexion politique sur le Congo-Brazzaville’’, un texte dédié à la mémoire du regretté professeur Dominique Ngoie-Ngalla et qui s’inscrit dans le prolongement du précédent ouvrage.

L’auteur part d’une idée que l’on peut considérer comme l’hypothèse centrale de son essai: la crise multidimensionnelle que traverse le Congo (panne de l’économie, crise du processus démocratique, faillite de l’école, montée des intégrismes ethnocentristes, désespoir de la jeunesse, abandon des retraités, etc.) s’explique pour l’essentiel par un déficit de la gouvernance politique: «Invoquer les facteurs externes pour expliquer la situation du pays est impertinent. Excepté la Russie et les pays occidentaux, toutes les nations se sont trouvées sous domination étrangère directe de façon durable, au cours de l’époque moderne … La thèse de la manipulation par les forces néocoloniales ne tient pas. Pas comme causalité exclusive en tout cas.»
On commettrait une erreur d’appréciation de premier plan, si on prenait le parti de ne pas attribuer à l’élite politique la part qui lui revient dans faillite de la maison Congo. Cela dit, la détermination des facteurs extérieurs ne saurait être mésestimée : la guerre de 1997, pour ne s’en tenir qu’à ce seul exemple, s’est déroulée, comme on le sait, sur fond de tensions politiques entre le géant pétrolier Elf et le régime Pascal Lissouba.
Aucune étude sur la société congolaise d’hier et d’aujourd’hui, remarque l’auteur, ne saurait faire l’économie d’une analyse de l’ethnicité, tant la prégnance de ce phénomène dans la vie politique congolaise est marquante. Le tribalisme est un «racisme du pauvre». Et face à ce mal rédhibitoire qui ronge la cohésion nationale, «les communautés ethniques sont de plain-pied dans le jeu, vrais dindons de la farce qui participent activement à la lutte des tribu-classes, dans l’illusion qu’elles seront invitées au banquet des vainqueurs.»
Notre Constitution est supposée instituer un certain équilibre entre les pouvoirs de l’espace institutionnel (la présidence de la République, le gouvernement, le parlement, la justice, l’armée, la presse, etc.) Mais la réalité nous dévoile un pouvoir politique qui se donne comme un corps hypertrophié dans le fonctionnement social, une instance omnisciente et omnipotente, dont la tendance est de s’octroyer des avantages au détriment de la collectivité nationale.
Les acteurs les plus en vue du champ politique peuvent «tutoyer les étoiles» comme l’écrit si bien l’auteur.
Cette omnipotence du pouvoir politique explique l’auteur est génératrice de violence : «Le champ politique … concentre tous les enjeux. Son influence directe s’exerce sur tous les segments de la société … Un pouvoir aussi considérable justifie aux yeux des politiciens l’usage de tous les moyens, de tous les subterfuges, avec la bénédiction de leurs communautés identitaires respectives, pour s’en assurer le contrôle … » Au reste, l’auteur voit juste quand il affirme que dans l’imaginaire collectif d’aujourd’hui, l’homme politique incarne la nouvelle figure de la réussite sociale, bien au-dessus du haut cadre administratif et militaire, de l’homme d’affaires ou de l’universitaire.
Les remarques de l’auteur ayant trait à la corruption et le détournement des deniers publics sortent du prêchi-prêcha ordinaire : «Le détournement des deniers publics suscite une désapprobation … mais c’est souvent une simple posture. Un vernis qui se craquèle à la première poussée, laissant place à l’admiration, à la fascination. La réussite matérielle, quelle que soit son origine, confère du prestige, attire louanges et dithyrambes.»
La mal-gouvernance et la pauvreté de masse qui en est la résultante, ont fini par engendrer chez les Congolais une mentalité et des comportements psychologiques peu propices à l’effort de développement. Bien plus que l’insuffisance des investissements directs de l’étranger, les fameux IDE, c’est cette mentalité et ses comportements psychologiques qui, selon l’auteur, ont conduit le Congo au désastre économique.
Simon Batoumeni n’hésite pas à soutenir des idées iconoclastes comme celles qui consistent à affirmer que la colonisation, en dépit de ses excès, a bénéficié à l’Afrique : «L’honnêteté oblige à dire aussi que de ce viol – la colonisation, c’est nous qui précisons – a résulté un saut civilisationel du monde noir, qu’il a été le véhicule d’un raccourci de plusieurs siècles dans les domaines de la science, de la technique et de la médecine.»
Evoquant la Françafrique et la gouvernance des élites africaines, Simon Batoumeni tente de remettre les pendules à l’heure: «La Françafrique, outre que son action est largement surévaluée, fantasmée parfois, ne saurait expliquer l’impéritie des élites …»
Certes, l’impéritie des élites politiques africaines ne peut s’expliquer par la seule Françafrique. Les méfaits de la Françafrique cependant ne sauraient être jetés dans les oubliettes de l’histoire : le soutien de Paris, aux génocidaires rwandais, en 1994, par exemple, n’est pas un fantasme, loin s’en faut.
L’insertion depuis le 19e siècle de l’Afrique dans les rapports marchands du monde occidental, ont fait des populations africaines des entités humaines hybrides. Celles-ci sauront-elles opposer une saine résistance, face au processus de l’aliénation culturelle et mentale auquel l’Afrique est en proie? Dans le cas du Congo, la question mérite d’être formulée. Simon Batoumeni remarque en effet à propos de l’usage du Français comme langue maternelle: «Le français s’est substitué aux idiomes locaux comme langues maternelles dans les villes en une petite trentaine d’années, entre 1970 et 2000 à peu près.» ? On notera à ce sujet que le recours au Français comme langue maternelle, ne concerne pas seulement la partie lettrée de la population urbaine mais aussi les couches semi analphabètes. L’utilisation du Français comme langue maternelle, est-elle un indice positif de l’évolution de la société ou le signe d’une perturbation des mentalités ?
Pour remettre le Congo d’aplomb, l’auteur formule quelques propositions qui, à son entendement, ne peuvent être réalisées qu’à plus ou moins long terme et dans un contexte politique et institutionnel stable et porteur de croissance économique.
Citons certaines de ces propositions: le président de la République sera élu pour un mandat unique de sept ans, par un collège électoral de grands électeurs (parlementaires, conseillers locaux). Par ailleurs, l’organisation des opérations électorales des scrutins présidentiel et législatif (découpage électoral, recensement des électeurs, confection des listes électorales, vote, etc.) sera confiée à une commission africaine ou internationale.
Concernant l’économie, Simon Batoumeni pense qu’au moins deux conditions s’imposent pour ancrer le Congo dans la croissance économique et le développement.
La première : il faut investir dans le capital humain (l’éducation, la formation, la santé), qui est la clé de la création des richesses ainsi que le rappelle l’auteur. La deuxième : il faut asseoir le développement sur le capitalisme privé national.
D’aucuns diront probablement: les deux propositions de l’auteur sont ressassées à longueur de temps. Vrai pourrait-on répondre, mais la crise de l’école n’est pas une vue de l’esprit et force est de constater que le jeu de la libre entreprise reste bridé.

Jean José
MABOUNGOU