Ethnologue française, le Dr Maud Gauquelin a fondé en 2016 un cabinet conseil et d’étude entre l’Europe et l’Afrique, EthnoSource. Elle est diplômée de l’Ecole pratique des Hautes études de Paris et maître de conférences en anthropologie. Elle consacre la majorité de son temps à EthnoSource en portant des projets et en réalisant des missions en Afrique, entre enseignement, rédaction et conférences. Entretien.

* Dr Maud Gauquelin, d’où vous est venue l’idée de fonder l’Ethnosource? De quoi s’agit-il exactement?
** J’ai eu cette idée à partir de mon expérience au nord du Nigeria en 2008. Auparavant, depuis l’âge de 24 ans, j’avais toujours effectué des recherches de terrains sans grande difficulté au Tchad et au Cameroun. J’étais comme un petit poisson dans l’eau. Mais la mission conduite au Nigeria a radicalement changé ma vision de l’ethnologie. Pourquoi? Parce qu’on ne peut mener une carrière de chercheuse sans avoir été scolarisée et avoir eu la chance de faire des études. L’expérience de la guerre avec des affrontements très violents et meurtriers à Jos en 2008 a transformé ma petite trajectoire. L’équilibre et la paix, la compréhension des conflits et leur résolution, les questions de résilience, de justice et d’éthique sont devenus mes chevaux de bataille. La priorité intérieure, bien sûr, et extérieure. Et je ne sais pas exactement pourquoi et comment, mais l’anthropologie est comme un cadeau: cette discipline permet de comprendre des situations complexes et parfois confuses et de clarifier les faits en dénouant les tensions. Je l’ai vu au nord du Nigeria où des chercheurs et étudiants m’ont remerciée mille fois d’expliquer des événements tragiques grâce à la compréhension ethnologique, historique et géographique et parfois ethno-psychanalytique. J’articule les approches et les différentes facettes du conflit se révèlent et dévoilent par là-même les solutions de résilience et de pacification, d’apaisement. C’est un phénomène que la science et l’intuition portent en elles. Comprendre permet de donner du sens et de retrouver le chemin vers l’équilibre. Les objectifs d’EthnoSource sont donc de marier l’anthropologie en la mettant au service de la paix, par le dialogue et la compréhension des différences, dans un souci de résolution des conflits. A ce titre, cette petite entreprise promeut la culture, le développement, l’éducation et la recherche entre Afrique et Europe. J’aime particulièrement travailler avec les jeunes talents africains qui ont le système D en eux, l’enthousiasme et la créativité. Leur capacité à multiplier les activités me plaît. Certains enseignent et cultivent en même temps leurs champs et je trouve cela juste génial.
*Vous avez suivi à travers les médias l’affaire George Floyd et le tollé que cela a suscité, quelle est votre opinion à ce propos et sur l’avenir des relations interraciales dans le monde?
**Oui, bien sûr. J’ai été glacée et une immense colère est remontée. Il est l’arbre qui cache la forêt des persécutés. Le martyre de George Floyd est insoutenable et inadmissible. Le racisme demeure structurel des sociétés occidentales. Son visage est pluriel. Fruit de l’ignorance et de la peur, il est le symptôme de la bêtise. Barack Obama fut un président exceptionnel dans l’Histoire de l’humanité et nous assistons aujourd’hui à un phénomène de régression qu’il faut comprendre, analyser et combattre avec la plus grande des fermetés. La situation est complexe car je constate en Afrique de grands développements et talents et des personnes qui n’ont absolument pas besoin de l’Europe et des Etats-Unis, doués et entreprenants. Or, en Europe, certains citoyens sont d’une ignorance face à l’Afrique impressionnante. Et ce, même dans les médias. Qui connaît la modernité d’Abuja? Qui connaît Nollywood? La littérature congolaise? Peu. Certains Français imaginent que l’Afrique est un pays et méconnaissent le continent. Les chercheurs en Afrique et en Europe ont un immense travail devant eux.
*Comment appréciez-vous la situation des Noirs en France; l’égalité, la justice et la fraternité sont-elles une réalité pour tous ou des idéaux encore difficiles à atteindre?
** Il existe des personnes issues de la diaspora africaine qui parviennent à s’adapter et à être intégrées. Des lieux de fraternité et de solidarité existent peut-être davantage en Province et dans le centre de Paris. Toutefois, dans les banlieues, je pense que de grands efforts sont encore à mener. Un réel racisme existe et il serait hypocrite de le nier. Des personnes sont contrôlées sur faciès et ont peur. Je pense aussi que les Africains sont sous-représentés dans les médias français et en politique, à quelques exceptions près. Je songe aussi aux migrants: en France, c’est l’Eglise catholique et la Cimade, les Protestants qui les accueillent et les intègrent et cela, peu le savent. Pour une note positive, des progrès politiques ont lieu. Je pense à Rama Yade pour qui j’ai eu beaucoup d’estime. Une personne de qualité. Bien qu’il soit critiqué sur de nombreux fronts, je pense que l’actuel président est sincère et courageux et veut rompre avec le paternalisme colonial. Sa vision est celle d’un entrepreneur qui a compris que les jeunes Africains du Sénégal au Nigeria, du Cameroun à la République Démocratique du Congo, du Bénin au Kenya, des pays anglophones aux francophones portent la France et non l’inverse! Car c’est cela la réalité et la vérité.
*Un dernier mot?
** La couleur du lait de la mère qui nourrit son enfant est la même, que l’on soit à New-York, Paris, Berlin, Bamako, Lagos, Yaoundé, Brazzaville, Kinshasa ou à Johannesburg. Merci à vous!

Propos recueillis
Aubin BANZOUZI