Le triduum pascal est une période importante pour la maturité spirituelle de tout chrétien, il est à la charnière entre le temps de la passion et le temps pascal. Il est le passage du dernier repas du Seigneur, de la passion, de la mort à la résurrection du Seigneur Jésus-Christ. D’une manière singulière, notre regard sera fixé sur la célébration du Jeudi saint. Le problème est celui de saisir la quintessence du mystère célébré durant ce jour.

Ainsi, quels sont les caractéristiques de la solennité du Jeudi saint? Quel est la spécificité qui singularise la connotation que nous avons du Jeudi saint? Pour étayer notre réflexion, nous répondrons à ces questions sur trois axes: premièrement, nous parlerons de la Cène du Seigneur. Deuxièmement, du lavement des pieds et troisièmement des particularités de la messe du Jeudi saint.

1. La Cène du Seigneur
Le dernier repas de Jésus est l’un des points essentiels porteur de signification pour le Jeudi saint. En effet, il est considéré comme le dernier repas de Jésus car il préfigure sa passion, sa mort et sa résurrection. Ce repas est important pour la tradition chrétienne, car il est le jour de l’institution de l’Eucharistie (Mt 26, 26-29; Lc 22, 19-20). Il porte une double signification. Non seulement, il est le dernier repas de Jésus avec ses apôtres, mais il est aussi une préfiguration du repas des noces de l’agneau. C’est ainsi que nous notons du Catéchisme de l’Eglise catholique (CEC) ce qui suit, le Jeudi saint est «repas du Seigneur parce qu’il s’agit de la Cène que le Seigneur a prise avec ses disciples la veille de sa passion, et de l’anticipation du repas des noces de l’Agneau dans la Jérusalem céleste»1. Aussi, soulignons que l’institution de l’Eucharistie n’est qu’une ramification du commandement de l’amour qu’a laissé Jésus. Elle doit être prise comme une concrétisation de cet amour se manifestant par la souvenance du passage de la mort à la résurrection. Dans cette optique, le CEC souligne: «pour leur laisser un gage de cet amour, pour ne jamais s’éloigner des siens et pour les rendre participants de sa paque, il institua l’Eucharistie comme mémorial de sa mort et de sa résurrection»2.
Le dernier repas du Christ avec les apôtres est considéré comme le pilier de la fondation de l’Eglise, car elle est la preuve que l’Eglise doit être une manifestation parfaite de la synodalité qui trouve sa source en l’Eucharistie. C’est dans ce sillage que le saint pape Jean Paul II considère: «en accueillant au Cénacle l’invitation de Jésus: « Prenez et mangez… Buvez-en tous… » (Mt 26, 26- 28), les Apôtres sont entrés, pour la première fois, en communion sacramentelle avec Lui. À partir de ce moment-là, et jusqu’à la fin des temps, «l’Eglise se construit à travers la communion sacramentelle avec le Fils de Dieu immolé pour nous»3
L’Eucharistie peut donc être considérée comme le fondement qui a influencé toute l’Eglise. Depuis le début, l’Eglise ne bat son plein que parce qu’elle a pour tremplin l’Eucharistie. Voilà pourquoi, par ricochet, nous pouvons considérer que la vie liturgique est «le sommet auquel tend l’action de l’Eglise, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu» 4. La célébration de l’Eucharistie est donc la source de la vie de l’Eglise car tout découle d’elle et elle en est le sommet, car elle renvoie à la célébration du banquet final. Dans cette même perspective, nous pouvons ainsi adhérer à la considération de Sa Sainteté le Pape Jean Paul II qui dit : «aux origines mêmes de l’Église, il y a une influence déterminante de l’Eucharistie» 5.

2. Le lavement des pieds
Le lavement des pieds peut être considéré comme l’un des signes distinctifs qui caractérise et marque la solennité du Jeudi saint. Jésus se rabaisse et décide de nettoyer les pieds de ses apôtres «Il mit de l’eau dans un bassin et il commença à laver les pieds de ses disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint.» (Jn 13, 5). Ce signe peut être considéré comme une manifestation exponentielle de l’humilité. Ce symbole d’humilité peut être pris pour fil d’Ariane pour exprimer et réfléchir sur l’humilité dont Jésus a fait preuve, ce geste qui parut aberrant suscita une sorte de résistance à l’endroit de Pierre : «Non, tu ne me laveras pas les pieds, jamais !» (Jn 13,8).
De la sorte, suite à ce geste posé par le Christ Jésus, la tradition requiert un sérieux, un déterminisme accentué sur la reproduction de cet acte qui est l’expression pure et simple de l’humilité et du sens de service que Jésus veut nous apprendre. C’est ainsi que la congrégation pour le culte divin note ce qui suit: «Si moi, votre Seigneur et votre Maitre, je vous ai lavé les pieds, combien plus devez-vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres».6
Pour peaufiner notre regard sur cette splendide simplicité qui a caractérisé le Christ, le pape Benoit XVI soulève cet aspect important qui, dans son ouvrage intitulé: «Jésus de Nazareth: De l’entrée de Jérusalem à la Résurrection», fait une analogie entre le texte de Marc, 10-45 et celui de Philipiens 2, 5-11. Par ce travail consistant, il prouve à forte raison que la mission salvatrice de Jésus-Christ ne s’accentuait qu’autour d’une vie de simplicité.7 Cette simplicité et cette humilité doivent construire et cristalliser l’amour reçu verticalement (de Jésus-Christ) pour la propagation horizontale, c’est-à-dire, entre chrétiens et chrétiennes, «Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres, comme je vous ai aimés, dit le Seigneur»8.

3. Particularités de la messe du Jeudi saint
Pendant la messe du Jeudi saint interviennent plusieurs particularités liées à la solennité. D’une part, nous notons que cette journée est aussi dédiée à la fête du sacerdoce, elle renvoie à l’institution même du sacerdoce. Voilà pourquoi, il y a généralement ce jeudi, la messe chrismale et par conséquent la rénovation des promesses sacerdotales (N.d.l.r: pour des raisons pastorales, cette messe a été ramenée au Mardi saint, cette année, le 26 mars 2024). Les évêques et les prêtres participent au sacerdoce du Christ qui gravite autour de l’Eucharistie. L’évêque, successeur des apôtres perpétue l’œuvre apostolique en ayant pour coopérateur les prêtres. C’est ainsi que nous notons: «La fonction des prêtres, en tant qu’elle est unie à l’ordre épiscopal, participe à l’autorité par laquelle le Christ lui-même construit, sanctifie et gouverne son corps»9. Suite à l’institution du sacerdoce durant cette même journée antérieure à la paques et surtout pour commémorer cette célébration, l’Evêque, ordinaire de lieu, prononce les paroles suivantes: «Fils très chers, en cet anniversaire du jour où le Christ fit participer ses apôtres et chacun d’entre nous à son sacerdoce, voulez-vous, devant votre évêque et le peuple saint de Dieu, renouveler les engagements que vous avez pris autrefois?»10.
D’autre part, nous avons durant la messe chrismale du Jeudi saint la bénédiction des huiles à savoir: l’huile des malades (O.M), l’huile des catéchumènes (O.G) et le saint Chrême (S.C). Cette bénédiction des huiles n’est pas anodine car elle renvoie d’un côté dans l’Ancien Testament à Moise qui reçut l’ordre d’oindre de l’huile à Aaron et à ses fils afin qu’il se consacrent au service de Dieu (Ex 30, 22-33) et de l’autre dans le Nouveau Testament aux apôtres qui appliquaient de l’huile aux personnes souffrantes (Mc 6,13) ou à la recommandation de saint Jacques qui préconise aussi l’usage de l’huile pour oindre les malades (Jc 5,14). Aujourd’hui, ces huiles sont bénies pour un souci purement pastoral, elles sont censées aider les prêtres dans leur ministère pastoral.
Au bout du compte, le Jeudi saint ouvre la porte au triduum pascal, la célébration de la messe en ce jour est pleine de sens. Il est une commémoration de la Cène du Seigneur qui s’origine dans la Bible. Il est porteur de signification et éducateur car par le signe distinctif et spécifique qu’est le lavement des pieds, le message de la simplicité et de l’humilité est plausiblement véhiculé par l’entremise de Jésus. Traditionnellement, la célébration eucharistique du Jeudi saint est spéciale, car il y a des rites subséquents en l’occurrence la rénovation des promesses sacerdotales et les bénédictions des huiles. Ainsi, comme chrétiens, quels sont les moyens que nous nous donnons pour christiformiser nos vies par la loi de l’amour reçue? Avons-nous un regard d’humilité et de simplicité à l’égard du prochain?

Rabbi Raphaël MABOUNDOU MA NZAMBI
Etudiant en 2e année de Philosophie.
(Grand séminaire de Philosophie Mgr Georges Firmin Singha)

Notes:
1 Catéchisme de l’Eglise Catholique, §1329
2 Catéchisme de l’Eglise Catholique, §1337
3 Jean Paul II, Ecclésia de Eucharistia, p 20.
4 Constitution Sacrosanctum Concilium, § 10.
5 Jean Paul II, op.cit., p.19.
6 Missel Romain, antienne n°4 du lavement des pieds lors de la célébration du Jeudi saint
7 Benoit XVI, Jésus de Nazareth: De l’entrée de Jérusalem à la Résurrection, Parole et Silence, 2011.
8 Missel Romain, antienne n°6 du lavement des pieds lors de la célébration du Jeudi saint
9 Décret Presbyterorum ordinis, n°2
10 Missel Romain, messe du Jeudi saint, rénovation des promesses sacerdotales.