Le Pape François n’a pas dérogé à une habitude devenue traditionnelle, celle consistant à proposer une piste de méditation à l’Eglise universelle pour le temps de carême. C’est en raison de cela que le dicastère pour la communication du Saint-Siège a rendu public le jeudi 24 février dernier, le message de carême 2022 du Pape François. La titulature de ce message reprend à nouveaux frais les mots de l’apôtre des gentils à l’Eglise de Galatie: «Ne nous lassons pas de faire le bien, car, le moment venu, nous récolterons, si nous ne perdons pas courage. Ainsi donc, lorsque nous en avons l’occasion, travaillons au bien de tous» (Gal 6, 9-10a).

Trois points constituent la colonne vertébrale de ce texte de cinq pages: «semailles et récolte», «ne nous lassons pas de faire le bien» et «nous récolterons si nous ne perdons pas courage». Notre réflexion hic et nunc va consister à jeter une lumière crue et panoramique sur ces points au moyen d’un résumé assez succinct et essayer d’établir un lien entre le carême et la dynamique synodale enclenchée depuis quelques temps par l’Eglise universelle.
Le premier point du message qui a comme titre: «Semailles et récolte» fait état d’un constat saugrenu, celui de la recrudescence et de la prévalence de l’égoïsme, de l’égocentrisme, etc. Tous ces maux doivent amener à un sursaut personnel et communautaire des chrétiens, en vue d’un changement de mentalité pour que «la vie ait sa beauté et sa vérité»1. Le Pape François invite les fidèles du Christ à se modeler sur Dieu qui prend plaisir à donner, lui «le premier agriculteur qui continue à répandre lui-même des semences de bien dans l’humanité»2. Cette attitude ne peut être possible que si le chrétien se laisse transformer par la Parole de Dieu. En effet, l’écoute assidue de cette parole a pour répercussion: un décentrement de la vie du disciple du Christ qui débouche sur une semence permanente de bien pour les autres, car «semer le bien pour les autres nous libère de la logique étroite du gain personnel et confère à nos actions le large souffle de la gratuité»3. Lorsque les semailles sont faites sans un intérêt personnel et égoïste, alors la récolte devient plus féconde dans la mesure où elle ne vise pas seulement les biens éphémères, mais plutôt les biens qui durent éternellement, les biens eschatologiques.
Le deuxième point intitulé: «Ne nous lassons pas de faire le bien» présente quelques lignes directrices en vue d’un carême fécond. Cette exhortation à ne pas aux trois piliers du carême chrétien catholique. En première instance, le Souverain pontife invite à ne pas se lasser de prier. L’illusion de l’autosuffisance entrainant l’exclusion de la religion dans la sphère publique a été fortement altérée par la pandémie actuelle. Aussi, l’homme a-t-il compris qu’il n’est qu’un être impuissant et fragile. Ainsi donc, «personne n’est sauvé sans Dieu, car le mystère de la mort de Jésus-Christ donne la victoire sur les eaux sombres de la mort»4. En deuxième instance le successeur de Pierre formule le vœu de ne pas se lasser de lutter contre le mal. Un mal dont l’une des formes d’expression est l’addiction aux médias qui obstruent les yeux sur les frères et appauvrissent les relations réelles. Les deux armes proposées pour cette lutte sont le jeûne et le sacrement de réconciliation. En troisième instance, le pape demande de ne pas se lasser à faire le bien dans la charité concrète, via l’aumône. Si Dieu pourvoit chacun d’entre nous, c’est non seulement pour que nous puissions avoir à manger, mais pour que nous puissions faire preuve de miséricorde. Le carême est de ce fait un temps propice pour se faire plus proches de ces frères et sœurs maculés par les coups et blessures de la vie.
Le troisième et dernier point du message du Saint Père qui a pour libellé: «nous récoltons si nous ne perdons pas courage» est un encouragement. Le Souverain pontife rappelle ici la constante persévérance, mieux la résilience qui doit animer le chrétien. De la même manière que le cultivateur est patient et attend sans s’exténuer, le chrétien semeur de bien ne doit pas se fatiguer, car «le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes, il faut les conquérir au jour le jour».5 Et la meilleure façon de les conquérir est le travail et la vie en osmose.
Depuis le 10 octobre de l’année écoulée, l’Eglise s’est engagée dans un chemin synodal qui a pour thème le terme éponyme, la synodalité. Cette marche ensemble atteindra son point culminant en octobre 2023, avec la célébration de la XVIe assemblée générale ordinaire du synode des évêques. L’occasion est donc toute indiquée de lire le cheminement quadragésimal à la lumière de la marche synodale. Il sied de savoir que cette marche nous fait voir que nous sommes un peuple au destin commun, nous marchons tous vers la Jérusalem d’en haut pour y vivre la Pâques du Seigneur.
La toute première à faire cette marche est l’Eglise qui est foncièrement synodale, puisque toutes ses actions engagent tout le corps «lorsqu’un membre souffre, tous les membres souffrent» (1 Co 12, 26). Saint Jean Chrysostome le stipulait déjà en son temps: «Eglise et synode sont synonymes»6. Cette dimension synodale puise ses racines dans le Christ lui-même qui se présente comme «le chemin, la vérité et la vie» (Jn. 14,6). D’ailleurs, les premiers disciples avaient pour nom les disciples de la voie (Ac 9,2). La synodalité est bien plus que les célébrations de rencontres ecclésiales et d’assemblées d’évêques, elle désigne le modus vivendi et operandi spécifique de l’Eglise peuple de Dieu. A une échelle encore plus supérieure, toute l’humanité est synodale, les récents événements mondiaux singulièrement la pandémie à COVID-19, le terrorisme mondial et plus récemment la guerre russo-ukrainienne confortent cette thèse. Le monde n’est plus un village planétaire, il est une maison commune dans laquelle nous sommes tous frères du frère aîné le Christ, fils d’un seul et même Père dans l’unité du même Esprit.
Au seuil de ce carême, nous sommes donc conviés à vivre un temps fort de synodalité. Cela requiert de se mettre à l’école des femmes de Jérusalem qui abandonnèrent leurs maisonnées pour s’unir à la Passion du Seigneur (Lc 23,28) et de Simon de Cyrène qui porta la croix du Seigneur, et ce malgré la fatigue des champs (Lc 23,26). Vivre un carême synodal en contexte congolais, c’est s’unir à la misère de tous ces compatriotes qui ont perdu le goût de la vie, c’est s’intéresser aux souffrances des hommes et femmes, des couches séniles et juvéniles qui sont les plus susceptibles. Cet intérêt passe par le fait de redonner dignité et attention aux personnes du troisième âge qui sont mises au ban de la société et prises comme des miettes de pain inutiles. En ce qui est des jeunes, il s’agit de leur apporter l’espérance via l’annonce de la Bonne nouvelle, eux qui sont envahis par tant de mauvaises nouvelles (fake news, manque de garantie pour un avenir serein).
Bref, vivre un carême synodal, c’est faire comme Jésus qui ne se résigne point à escalader la montagne conduisant à Jérusalem pour devenir le véritable agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde. C’est vaincre la congolisation de l’indifférence qui occasionne et maintient une stratification sociale entre d’une part des nantis qui possèdent excessivement tout et d’autre part les nécessiteux qui manquent même du minimum vital. La synodalité du carême doit pousser chaque chrétien congolais à une conversion du regard pour voir l’autre comme un véritable alter égo.
Bonne montée vers Pâques!

Lyns Théogène MOUZITA
BALONGANA
(IVe année de Théologie) Grand Séminaire Cardinal Emile Biayenda
Notes
1 François, Message pour le Carême 2022, cité du Vatican, Liberia Editrice Vaticana, 2022, p.1.
2 François, Fratelli Tutti, Paris, Editions Salvador, 2020, 54.
3 François, Message pour le carême 2022, p.2.
4 Ibidem, p.3.
5 François, Fratelli Tutti, Paris, Editions Salvador, 2020, n°11.
6 Jean Chrysostome, Explicatio in Psalmum 149, PG 55,493.