Deuxième président du Kenya indépendant, Daniel Arap Moi est décédé mardi 4 février 2020 des suites d’une maladie, à l’âge de 95 ans. Il a dirigé le Kenya de 1978 à 2002. De sa longue présidence au bilan pourtant controversé, les Kenyans gardent de lui une image controversée. La nouvelle de son décès a été annoncée officiellement par le président Uhuru Kenyatta, qui a décrété un deuil national jusqu’au jour des obsèques de l’ancien président. Arap Moi avait succédé à Jomo Kenyatta, le tout premier président kenyan.

Dans l’opinion, certains saluent la mémoire d’un président rassembleur. Moses Wetangula, opposant et ancien ministre, avocat de ceux qui avaient tenté un coup d’Etat contre Daniel Arap Moi en 1982, estime que malgré toutes les controverses autour de l’ancien président, les 24 ans de son régime autoritaire et les atteintes aux droits de l’homme, il faut surtout se souvenir d’un chef d’Etat rassembleur. «Sous sa présidence, nous avons eu toutes les turbulences traversées par le pays, mais le Kenya est resté uni», selon lui. «Quand l’Ouganda subissait des turbulences, il a accueilli Yoweri Museveni, et d’autres parties en guerre. Jusqu’à ce qu’un accord fût trouvé et que la situation fût retournée à la normale. Il était aux avant-postes pour apporter la paix au Soudan du Sud. Il a fait tous les efforts possibles pour restaurer la paix en Somalie. Nous garderons de lui l’image d’un homme énergique, notamment pour une éducation pour tous», soutient Moses Wetangula. «Beaucoup d’épisodes sombres de notre histoire se sont déroulés sous son règne, mais l’important c’est que, maintenant que nous regardons en arrière, on sait qu’il a mené ce pays à l’endroit où nous sommes aujourd’hui. Donc, je pense que ces problèmes peuvent être pardonnés, parce que nous voulons unir le Kenya et le faire avancer. La Bible dit que le début de la guérison passe par la reconnaissance des fautes», a-t-il poursuivi.
Le vice-président kényan, William Ruto, qui appartient comme l’ancien président à la communauté kalendjin, a préféré vanter l’héritage laissé par Daniel Arap Moi malgré la controverse. «Son intérêt sincère pour le pays, son altruisme, sa loyauté et sa sincérité lui ont permis d’acquérir un grand pouvoir, et d’attirer le soutien de millions de patriotes», déclare-t-il.
Mais son règne de 24 ans, a été entaché par la corruption et les atteintes aux droits de l’homme. On dit qu’il s’est transformé en dictateur en 1982. Cette année-là, il a transformé le système politique en instaurant le parti unique en amendant la Constitution. Les autorités font échouer une tentative de coup d’Etat: 159 personnes sont tuées, et le règne d’Arap Moi se durcit. Le pouvoir s’en prend à ses adversaires qui sont arrêtés, torturés, assassinés, y compris l’ancien ministre des Affaires étrangères Robert Ouko.
Le système judiciaire est impliqué. Le Parlement devient une marionnette. La corruption, et notamment l’accaparement des terres, devient comme un cancer qui atteint tout le pays. L’une des pires tragédies a été le massacre de Wangalla, dans le nord du pays, en février 1984. Officiellement, cette opération militaire a servi à désarmer des clans d’ethnie somalie, faisant 57 morts. Mais des chercheurs parlent de 5 000 personnes massacrées. Les troupes ont forcé certains à s’habiller avec des vêtements imbibés d’essence pour les transformer en torches vivantes.
Finalement, sous la pression des Occidentaux et de la société civile, Daniel Arap Moi accepte le retour du multipartisme, après une manifestation réprimée dans le sang en 1991. Constitutionnellement empêché de se représenter en 2002, Daniel Arap Moi finit par quitter le pouvoir. Son système politique controversé est transformé avec une nouvelle Constitution en 2010, qui met en place des gardes fous pour éviter le retour des abus. Sa présidence a aussi été entachée par les malversations. Dans les années 2000, le rapport Kroll a parlé d’un milliard de dollars détournés par des sociétés fantômes et des associés.
Les Kényans ont gardé une certaine affection pour lui, car il était âgé. Et les politiciens continuaient d’ailleurs à lui rendre visite et à le consulter, car il restait influent notamment dans sa communauté Kalenjin. Certains vont retenir de lui l’image d’un despote. D’autres celle d’un homme de paix ayant maintenu la stabilité du Kenya.

Gaule D’AMBERT