Le coup d’Etat suscite généralement dans l’opinion nationale et la communauté internationale deux genres de réactions opposées : soit une vive réprobation suivie d’une sévère condamnation, par principe, de l’étranger, soit un mouvement d’enthousiasme de l’intérieur du pays.

La décennie 2020 se caractérise, au plan de la gouvernance publique, par une sorte d’épidémie de coups d’Etat en Afrique subsaharienne et francophone. Se produisant à la suite d’une trentaine d’années après l’instauration de la démocratie pluraliste où l’on avait cru que l’époque des coups d’Etat était à jamais révolue, ce phénomène semble symptomatique de la fin d’un cycle des démocraties de façade entamé après la chute du mur de Berlin et la tenue des conférences nationales en Afrique noire francophone.
D’abord, qu’est – ce qu’un coup d’Etat ? Ensuite, au plan mondial et au niveau africain, quel est brièvement le processus historique d’apparition des coups d’Etat ? Enfin, quelles sont les spécificités des coups d’Etat actuels en Afrique francophone ?

I – Un essai de définition du coup d’Etat
Sur le plan politique, un coup d’Etat est un renversement du pouvoir par une personne ou un groupe de personnes investies d’une autorité de façon illégale et souvent brutale, par la force des armes. Il se traduit par une rupture constitutionnelle au plan juridique. Par ailleurs, il acquiert un caractère de légitimité par le fait d’une mal gouvernance antérieure – fondement évident de l’acte insurrectionnel – qui génère une adhésion et un engouement populaires.

II – Un bref rappel historique des coups d’Etat
Il ne s’agit nullement de remonter dans l’histoire ancienne, ni au célèbre coup d’Etat du 18 Brumaire de Louis Bonaparte (ouvrage de Karl Marx publié en 1852), le futur Napoléon III qui instaure le Second Empire en France, ni bien plus tard aux pronunciamentos des quarterons de généraux en Amérique latine dans la première moitié du XXème siècle, mais de considérer succinctement la période de la guerre froide et de la post colonisation.
Au cours de cette période, on pourrait distinguer globalement trois sortes de coups d’Etat dont on se passerait volontiers d’illustrations exhaustives à travers des cas concrets. La première catégorie de coups d’Etat était motivée par la volonté de ramener le pays nouvellement indépendant sous l’orbite de l’ancien pays colonisateur, à l’instar du coup d’Etat perpétré, sous l’instigation de la France, le 13 janvier 1963 par Etienne Gnassingbé Eyadéma contre Sylvanus Olympio au Togo. La deuxième catégorie de coups d’Etat s’opérant à l’intérieur de la même tutelle française pourrait résulter d’ambitions personnelles telles que le renversement de David Dacko le 1er janvier 1966 par Jean Bedel Bokassa en République centrafricaine. La troisième catégorie de coups d’Etat était destinée à faire basculer le pays concerné d’un camp idéologique à un autre, à l’instar du coup d’Etat de Mathieu Kérékou contre Justin Ahomadegbé le 26 octobre 1972 qui installe un régime marxiste-léniniste au Dahomey, le futur Benin ‘(1975), et inversement le coup d’Etat manqué du 23 mars 1970 de Pierre Kinganga alias Sirocco contre Marien Ngouabi qui aurait pu faire passer la République populaire du Congo du marxisme léninisme au camp occidental et capitaliste.
Une caractéristique globale des coups d’Etat de cette époque, à quelques rares exceptions, c’était la violence sanglante, l’assassinat du président en fonction ou du groupe des mutins.

III – Des spécificités des coups d’Etat actuels
Il s’agit de la série des coups d’Etat militaires de la décennie 2020 en cours. Ce sont effectivement les coups d’Etat du 18 août 2020 et du 24 mai 2021 au Mali, du 5 septembre 2021 en Guinée, du 23 janvier 2022 et du 30 septembre 2022 au Burkina Faso, du 26 juillet 2023 au Niger et du 30 août 2023 au Gabon.
Tous ces coups d’Etat se caractérisent par un fait important : les présidents renversés ont été simplement écartés, mis en résidence surveillée, leurs vies et celles de leurs proches sont sauves.
Plus spécifiquement, on note une similitude entre les coups d’Etat opérés en Guinée, au Niger et au Gabon qui pourraient être qualifiés de « révolution de palais », c’est -à-dire qu’ils ont été l’œuvre des officiers commis à la sécurité et à la protection du président renversé.
Cette situation paradoxale s’explique et se comprend aisément à travers trois considérations.
D’abord, ces pays traversent une période de marasme social dû à une grave crise multidimensionnelle difficile à juguler.
Ensuite, les dirigeants à la tête de ces pays opèrent des tripatouillages et des manipulations constitutionnels pour s’éterniser au pouvoir afin de continuer à jouir indéfiniment, eux et les leurs, de ses privilèges et de ses délices.
Enfin, ces dirigeants sont réputés experts dans l’alchimie électorale en organisant des scrutins toujours gagnés avec des scores mirobolants qui ne reflètent pas du tout la réalité sociale.
En sus, conscients de la confiscation des libertés publiques et suffisamment informés du fait que la cocotte- minute sociale risque d’éclater à tout moment, au lieu de prendre des mesures draconiennes en vue de l’amélioration de la gouvernance publique, ils préfèrent bétonner les cordons sécuritaires autour du président de la République, en oubliant que le personnel affecté à la sécurité ou à la garde présidentielle ne vit pas interné dans un camp, à l’écart du monde extérieur, mais vit et comprend effectivement les misères quotidiennes des populations.
En fait, il s’agit d’officiers supérieurs, dans la tranche de 40 à 50 ans, formés souvent dans des grandes écoles militaires, à même d’analyser et de cerner les enjeux nationaux, de se soucier de leurs propres devenirs, de l’avenir de leurs groupes ethniques au pouvoir, de percevoir le danger imminent et le déluge imparable pour le pays tout entier, résultant de la mal gouvernance et de l’entêtement du prince accroché mordicus au trône, envers et contre tout. Le cas du Gabon est assez illustratif, le prince étant devenu inapte physiquement car diminué par une longue maladie.

Conclusion
Somme toute, ne se conviendrait-on pas de moduler ou de relativiser les opinions envers les coups d’Etat ?
Sur le plan juridique et institutionnel, logiquement ils suscitent une réprobation et une condamnation. Politiquement et moralement, ils constituent souvent le dénouement d’une dangereuse situation de blocage.
A l’observation, rétrospectivement des régimes issus des élections libres ont quelques fois muté en des gouvernances antidémocratiques, et des coups d’Etat militaires, à l’instar de ceux Jerry Rawlings au Ghana (1979), Thomas Sankara au Burkina (1983) et Amadou Toumani Touré dit ATT au Mali (1991) ont unanimement été réputés salutaires voire salvateurs.
Tout compte fait, la donne fondamentale et déterminante, dans tous les cas d’accession au pouvoir, serait la bonne ou mauvaise gouvernance post-électorale ou post-coup d’Etat.

Claude – Richard M’Bissa
Ancien élève de Sciences
Po Paris