L’Ancien Ngoïe-Ngalla- c’est ainsi que nous nous appelons au sein de l’Association congolaise des anciens séminaristes et juvénistes (ACASJ)- n’est plus de ce monde. Il a tiré sa révérence le 13 octobre 2020. Il y a plusieurs manières de lui rendre hommage. Comme lui, j‘ai choisi de prendre ma plume pour aborder une thématique sur laquelle il aimait s’épancher de façon récurrente en vue d’éduquer et de sensibiliser les jeunes générations à la beauté du chant sacré. Je n’ai pas le même talent que lui, et je n’ai pas la prétention d’être son disciple mais je ne puis m’empêcher, pour évoquer sa mémoire, de toucher à ces thèmes qu’il affectionnait. Dominique considérait le chant grégorien comme musique sacrée par excellence. L’homme étant le produit de son hérédité, de son éducation et donc de son environnement social et culturel ainsi que de son époque, Dominique qui est passé par le séminaire, était imprégné de cette tradition du chant grégorien et de la musique classique. Chant grégorien et musique classique ont permis à des générations de chrétiens catholiques de prier dans le calme, de profiter du chant pour méditer, de se transporter en extase et dans la contemplation.
La liturgie et les rites religieux catholiques d’aujourd’hui ont subi une telle transformation, pour ne pas dire altération, en particulier le chant, qu’il est parfois pénible de se concentrer et de méditer pendant les offices religieux. Il se plaignait du chant religieux devenu un folklore au sens péjoratif du terme. Ce n’est ni une question de langue, de rythme ou de danse, mais l’ensemble y compris la mélodie car la musique religieuse qui est servie dans les églises et temples ces jours-ci, ressemble à s’y méprendre, à la musique mondaine des bars, boîte de nuit et folklore traditionnel. Seuls les mots diffèrent pour faire diversion.
Dominique se défendait de mépriser les chants en langues vernaculaires. Pour preuve, les chants en lari de Mgr Batantu, ou en lingala du Père Moysan ou en vili de l’Abbé Godefroy Poaty le ravissaient et le réjouissaient au point de l’aider à prier avec concentration et ferveur.
Depuis que Vatican II a reconnu que le catholicisme est une chrétienté multiculturelle et que chacun peut exprimer sa foi dans sa propre culture: langue, musique, danse, rythme, etc…cela a engendré des expressions, des manifestations et des pratiques diverses ainsi que la dynamique d’un renouveau liturgique surtout au niveau du chant. Le plain-chant, le chant grégorien, la musique classique et le chant polyphonique jugés rébarbatifs et ennuyeux par la jeunesse actuelle, disparaissent petit à petit des offices au profit d’une musique populaire combinée à la danse. La méditation et la contemplation n’ont plus d’espace au profit des animations et des exhibitions corporelles. C’est ainsi que la confusion s’est instaurée entre la musique sacrée et la musique profane voire mondaine. Par ailleurs, sous Vatican I, un chrétien pouvait se sentir à l’aise pour suivre les offices dans n’importe quelle église de n’importe quel pays. Ce n’est plus le cas.
Dans l’histoire de l’Eglise catholique, au cours des siècles, la musique sacrée était différente de la musique profane. Si l’on ne dansait pas, ou l’on ne battait pas des mains, on n’était pas moins enchanté, transporté aux anges à l’écoute de ces chants d’autrefois. Aujourd’hui il faut danser ou battre des mains pour ne pas assister en spectateur aux offices religieux car c’est souvent la seule manifestation de la liturgie dite participative, la chorale se comportant en orchestre qui donne un concert. A cela, il faut ajouter le vacarme assourdissant des instruments de musique jouant à fond pour accompagner le brouhaha des voix des choristes emballés par leur propre rythme de danse folklorique. Il semble même que tous les chants exécutés ne reçoivent pas l’imprimatur de l’ordinaire comme ce fut le cas jadis. On assiste ainsi à l’exécution de «chansons» qui ne riment pas avec les textes liturgiques du jour.
Peut-être y avait-il un peu d’aliénation culturelle, d’infantilisme et de naïveté chez ces chrétiens qui priaient en latin, mais la foi simple et sincère se nourrit aussi de cette vénération du sacré. Vatican II est donc venu un peu bouleverser ces pratiques ancrées dans la tradition. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, l’Eglise catholique est faite essentiellement de coutumes et de traditions. Mais Ngoïe-Ngalla ne s’accrochait pas aux traditions. Il n’était nullement nostalgique du passé. Il était persuadé que la musique sacrée se distinguait de la musique profane par la mélodie, le rythme, le tempo, ce qui avait la vertu d’inviter à la méditation et à la prière. Les chrétiens participaient moins bruyamment et se sentaient emportés comme par une communion collective. On appelait musique religieuse et sacrée chant tandis que la musique profane et mondaine était faite de chansons. Aujourd’hui, chant et chanson se confondent.
Voilà, un peu dit de manière schématique, un tantinet provocateur, les griefs de l’Ancien Ngoïe-Ngalla contre l’inculturation dans le domaine du chant sacré, fait pour prier et méditer et non pour se distraire. Il y a néanmoins des exceptions. Sans vouloir être chauvin, la chorale Père Paul Ondia par exemple, dont la devise est «Chanter pour évangéliser» est une chorale qui allie avec bonheur la tradition et le modernisme. Si chanter c’est prier deux fois, danser est peut-être prier quatre fois? Qu’on se le dise!
Repose en paix, Dominique, là-haut, ce sont des voix angéliques que tu écouteras éternellement sans distraction dans la contemplation!

Gustave P. ZOULA
Ancien séminariste, Mbamou et Makoua

*Anèr, Ανηρ en grec, qui veut dire l’homme, le masculin, vir en latin, qui a donné viril en français. C’est ainsi que Dominique et ses condisciples s’appelaient en classe de seconde.