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LIVRE : ‘‘Ce que dira de nous demain’’ de Henri Djombo ou l’homme et son futur

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La couverture du livre

L’écrivain Henri Djombo a présenté au public brazzavillois, à l’Institut français de Brazzaville, le 5 octobre 2023, son dernier ouvrage intitulé Ce que dira de nous demain. Ce titre, ensemble d’entretiens, préfacé par Jean Ping, a été publié aux Éditions Continents en avril 2023. Structuré en dix parties, ce livre porte sur des éléments de la vie de Henri Djombo au point où plusieurs observateurs ont été amenés à parler de texte autobiographique. Dans cette récension, nous voudrons revenir sur trois aspects qui semblent significatifs dans la compréhension de cet ouvrage : des entretiens et de la littérature, de la construction d’une représentation de soi et de la considération du titre.

Des entretiens et de la littérature
Ce que dira de nous demain est un ensemble d’entretiens entre Henri Djombo et Stephens Akplogan. Considéré comme un genre hybride, l’entretien associe les genres médiatiques et littéraires. Henri Djombo ne présente donc pas une fiction narrative ou dramatique comme dans ses productions littéraires antérieures mais recourt à un genre trans-littéraire et méta-littéraire.
En littérature, l’entretien permet de construire l’image de l’auteur dans son rapport à l’ethos auctorial. Il pose la problématique de l’oral et de l’écrit ainsi que de la vraisemblance propre aux récits de fiction. Autrement, comment considérer le discours oral émis par l’auteur sur lui-même ou sur son œuvre après la publication proche ou lointaine de plusieurs écrits de fiction? L’entretien, en redéfinissant l’auteur, en revisitant les œuvres littéraires, réfute le principe de l’immanence du texte et prétend redonner à la personne physique des droits sur son œuvre. Dans son propos de contextualisation du livre Ce que dira de nous demain, Monsieur Stephens Aklogan a noté que la série d’entretiens devrait faire ressortir ce qui a été enregistré au fil des années au point où le titre initial était La boîte noire. Le jeu de questions-réponses, fait par téléphone, par mail ou par conversation directe, a duré plusieurs mois. Ainsi les entretiens deviennent un espace d’affirmation de l’être, un espace de diction et de rediction de la vérité par l’auteur Henri Djombo, vérité traduite par une volonté d’éclaircissement sur sa vie. Ils intègrent de la sorte la catégorie de textes de cadrage, de métalittérature. Les entretiens sont assimilables à des conversations littéraires où l’écrivain, l’homme, le politique et l’acteur social pose le principe de son identité à certains des personnages de ses livres, énonce l’expérience de sa vie et celle de sa génération. C’est ce qui explique le fait que Henri Djombo laisse croire à une narration de la réalité dans le roman L’avenir est dans ma tête:
«En écrivant ce livre, le but était qu’à partir des expériences vécues par les anciens, soit aiguisé le sens de l’effort chez les jeunes, mais que ceux-ci soient aussi amenés à s’exonérer des logiques de la facilité, celles de boucs émissaires et de raccourcis. Il faudrait les amener à cibler leur avenir en se projetant dans les sociétés et les esprits de demain» (p. 33).
Henri Djombo affirme encore que:
«Sur la braise traite de la vie et de l’économie d’entreprise et le troisième livre, Lumière des temps perdus, de l’économie nationale en temps de crises économiques et financières …» (p. 153).
Henri Djombo inscrit ses écrits dans une dynamique d’engagement. Il exprime donc sa volonté d’influencer la conduite des plus jeunes quant à la vie sociale. Mais, on sait que la représentation de la réalité que prône l’écrivain n’est pas la réalité. Il s’agit d’une esthétique du réalisme qui trouve son fondement au niveau des similitudes lisibles entre le texte et la réalité et ses limites dans le fait que la fiction n’a pas d’emprise sur la réalité. Ces propos aussi réalistes soient-ils ne sont malheureusement pas la réalité.
Toutefois, par ces affirmations, Ce que dira de nous demain affiche son appartenance au genre métalittéraire ou méta-discursif. C’est en effet un discours sur des discours. Henri Djombo y parle de sa vie certes mais aussi de ses œuvres littéraires. Il a vocation de donner des orientations de lecture. L’auteur ou l’interviewé redéfinit sa conception de l’écriture ou de sa vision exprimée dans des récits. Il encadre des interprétations de lecture des séquences de récits ou de certaines œuvres, il prétend mieux connaître le contexte spatial ou temporel de l’écriture de l’œuvre ou de la production des événements narrés dans un récit. Le genre littéraire de l’entretien tend donc à poser la vérité de l’auteur comme un cadre transactionnel de lecture d’une œuvre. Mais, sans aucun doute, ce genre a pour fonction principale de réactualiser des écrits antérieurs pour nourrir la dynamique interprétative des lecteurs.

De la construction d’une représentation de soi
L’entretien est un genre littéraire qui porte en soi le désir de justification sur les écrits antérieurs. La série d’entretiens offerte par Henri Djombo correspond bien à cet espace de relecture ou mieux de rediction des textes et hors-textes antérieurs. Ce que dira de nous demain présente le parcours d’une vie à travers trois volets possibles:
• volet social, culturel et sportif (chapitres II, III, IV, V et IX);
• volet politique (VI et VIII);
• volet littéraire (VII).
La démarche de justification et de valorisation de l’œuvre littéraire et de l’homme Henri Djombo se fait à travers cette triple catégorisation. Les entretiens apparaissent alors comme un curriculum vitae qui récapitule les éléments d’une vie. L’auteur affirme être au centre de son œuvre littéraire. La tentation est donc grande d’affirmer que Ce que dira de nous demain est autobiographique. Philippe Lejeune (p. 14), le grand théoricien de la science autobiographique définit ce type de récit en ces termes: «récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité.»
En affirmant sa proximité avec certains personnages, en reconnaissant des scènes de vie vécues dans certains livres, Henri Djombo tend à valider la nature autobiographique de livre. Cela est conforté par ces propos formulés los de la cérémonie de présentation: «je suis attaché à la vérité. Je ne suis pas sûr que mon point de vue soit parfait. Il est contestable.» Il invitait ainsi le lecteur à faire attention aux actes qu’on pose. Il situait le public dans une interrogation existentielle du genre: «comment faire pour être bien ?» Henri Djombo refuse que ces entretiens soient un étalage de sa vie. Il estime plutôt partager des souvenirs ayant vocation à témoigner une expérience de la vie de soi et des autres.
Du titre des entretiens Ce que dira de nous demain
Littéralement, on est tenté de croire que ce titre présente un pronostic ce qu’on dira de l’écrivain au futur.
Le procédé
cataphorique qui ouvre ce récit par ce «ce» a pour antécédent le texte suit mais on sait que les entretiens qui suivent n’annoncent pas le futur. Ils renvoient à un passé. Il y a donc un paradoxe de référence temporelle. Le livre ne fait pas de prédiction de l’avenir ; il recadre le passé et espère ainsi déterminer cet avenir.
Henri Djombo exploite le dispositif linguistique du procédé anaphorique. Le démonstratif «ce», le pronom personnel ou déictique possède une dynamique référentielle spécifique. «Ce» a pour antécédent soit les propos rassemblés dans le livre et, à ce moment, on peut reformuler le titre de la manière suivante : voici ce que dira de nous demain. Mais visiblement ce sens n’est pas pertinent. Le pronom «ce» renvoie aux propos que les (futurs) lecteurs diront. Le pronom personnel «nous» renvoie-t-il à l’auteur Henri Djombo ou aux acteurs des entretiens ? S’agit-il de tous les écrivains, des politiques, des Congolais d’aujourd’hui ou des contemporains actuels ? Le «nous» a une référentialité ouverte qui a vocation à impliquer tout lecteur et non lecteur du livre au même titre que l’auteur. L’adverbe «demain» est un déictique temporel qui fonctionne comme un déictique personnel. «Demain» ne renvoie pas à un temps futur mais aux femmes et aux hommes qui seront amenés à dire quelque chose de «nous» et ce «dire» pourrait être une affirmation, un jugement, une condamnation… Pour éluder la condamnation, Henri Djombo donne sa part de vérité. Il donne des réponses à des questions pour tracer une ligne de lecture de sa vie et de son œuvre dans le futur quand il ne sera plus là. Et en cela, ce livre est un témoignage de vérité.

Professeur Omer Massoumou

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