Au-delà de la terrible catastrophe sanitaire qu’elle a provoquée, la crise du coronavirus est avant tout un révélateur, celui de l’état de l’étonnante résilience de la République du Congo face aux grandes catastrophes. Dans cette crise, le Congo, avec les «moyens du bord», a su trouver avec intelligence et pragmatisme les solutions efficaces pour limiter la casse de façon spectaculaire.

Mieux, il a fait preuve d’une solidarité exemplaire, montrant au passage un bel exemple de gestion communautaire, digne et responsable, aux sempiternels donneurs de leçons. N’est-ce pas l’occasion pour le pays d’en finir avec les modèles imposés, inadaptés, irréalistes, inefficaces, qui ne l’avantagent jamais et «changer de paradigme» ? Une opportunité unique s’ouvre dans le domaine économique. Le Congo peut profiter de l’après-crise, et notamment des mouvements tectoniques qu’elle pourrait déclencher en Chine et en Asie, pour repenser son industrie.
De l’avis général, l’industrialisation de la République du Congo passe par une action résolue de l’État. Que ce soit en matière de subventions ou de barrières douanières, l’État ne peut rester passif. On reconnaît volontiers la participation indispensable de l’Etat au démarrage du processus d’industrialisation ou à la mise en place de certaines filières industrielles. Un État protecteur qui stimulerait, au travers d’un dispositif spécial, l’émergence d’industries locales : à partir du moment où l’on dépasserait un certain niveau d’importations, on obligerait à fabriquer le produit sur place.
L’État doit être protecteur mais également suffisamment souple pour permettre aux entreprises de sortir de leur marché domestique et en atteindre de plus vastes. Entre besoins de protection et libre-échange, le Congo devra trouver sa voie. Les mauvais choix politiques ont souvent été la cause de ses faibles performances industrielles. La stratégie d’industrialisation au lendemain de l’indépendance a consisté à appliquer une politique industrielle protectionniste incluant les politiques tarifaires à l’importation et les subventions accordées à des secteurs spécifiques. Mais, la politique d’industrialisation par substitution des importations n’était pas associée à une stratégie de promotion des exportations ; et donc les gouvernements étaient en train de promouvoir des industries qui étaient inefficientes et pas compétitives à l’international.
Après des années d’interventionnisme, la place a été cédée dans les années 1980 au tout libéral. Ce virage libéral s’inscrivait dans le cadre des programmes d’ajustements structurels pilotés par le FMI et la Banque mondiale. La restructuration industrielle et l’amélioration de la compétitivité industrielle ont été des composantes de ces programmes. Les réformes ont donc reposé sur l’hypothèse que des ajustements appropriés au niveau macroéconomique, accompagnés de la libération des forces du marché, de la libéralisation des échanges et de la privatisation des entreprises parapubliques, fourniraient les conditions nécessaires et suffisantes à la relance industrielle et à la croissance. Après des années d’ajustement structurel, on a plutôt assisté à une désindustrialisation avec la faillite des industries existantes, incapable de faire face à la concurrence.
À partir de 1990, la République du Congo va reprendre un semblant d’autonomie en matière de politique industrielle après des années d’ajustements structurels. Le Congo va réaliser des reformes générales des institutions qui soutiennent le développement industriel. L’approche générale a été d’améliorer l’environnement des affaires. Il reste que les services publics gangrénés par la corruption créent un environnement juridique et réglementaire qui ne rassure pas les investisseurs quant à la sécurité de leurs investissements. La dernière publication 2019 sur l’Indice de Perception de la Corruption dans le monde faite par l’ONG Transparency International montre que la République du Congo a un score de 19 % indiquant une situation de corruption endémique. Or, de nombreuses études mettent en évidence le fait que la corruption décourage l’investissement et qu’elle constitue un coût supplémentaire pour les entreprises, en réduisant la profitabilité des projets d’investissement.
Les défis de la politique industrielle consisteront donc à : promouvoir la compétitivité en améliorant en particulier les capacités technologiques dans une économie de marché, déplacer la structure d’incitation vers l’exportation, aider les industries de substitution à l’importation à se restructurer et à améliorer leurs technologies et leurs compétences, investir dans les infrastructures, l’éducation, la formation et la technologie, et promouvoir la coopération régionale pour élargir les marchés.
Face à ces défis, le Congo doit faire face à des choix politiques clairs sous tendus par une vision stratégique cohérente. Il s’agit de clarifier l’option consistant à mener une politique neutre ou interventionniste. Une politique de neutralité sectorielle signifie que l’Etat s’abstient de prendre parti dans le libre jeu de la concurrence au profit d’un secteur ou d’un autre. Il se bornerait à mettre en place un environnement des affaires incitatives pour tous les secteurs, des règles garantissant les mêmes opportunités à tous. A l’inverse, une politique industrielle volontariste signifie que l’Etat doit prendre une position claire en faveur de certains secteurs. La neutralité sectorielle serait plus équitable, alors que la politique interventionniste se traduirait par des avantages de différents ordres accordés à certains secteurs au détriment d’autres. Elle pourrait être justifiée si le rôle de secteur moteur est assuré par les industries bénéficiaires, si la concurrence internationale pour les produits concernés n’est pas loyale, ou pour le simple besoin de renforcer les établissements concernés. En tout état de cause, la protection accordée devrait l’être en contrepartie de performances productives discutées et acceptées par les bénéficiaires. Elles devraient également diminuer avec le temps jusqu’à complètement disparaître.
L’industrialisation est une étape importante vers le développement. En fait, rares ont été les pays qui ont pu émerger sans avoir enclenché auparavant un processus d’industrialisation de leur économie. Le cas de Singapour est une notable exception. Ce pays a pu faire décoller son économie sans base industrielle, en se fondant essentiellement sur les services. Ceci pourrait certainement être une source d’inspiration pour le Congo qui aurait intérêt à construire un secteur des services fort et compétitif pour tirer le reste de l’économie.
Mais, l’expérience des pays actuellement développés comme émergents montre que l’industrie légère est une étape obligée dans la voie de l’industrialisation des pays. Les industries traditionnelles en effet ne sont pas intensives en technologie ou en capital, toutes choses qui n’existent pas en abondance au Congo, mais le sont en facteur travail non qualifié dont le pays regorge. Il est naturel que plus un pays avance dans le processus de décollage, son revenu par tête augmente et qu’il perde progressivement sa compétitivité dans ce type d’industrie, au profit d’autres pays moins riches. Le Congo devrait donc tirer profit de sa situation de pays pauvre regorgeant de main-d’œuvre non qualifiée, pour gagner des parts de marché dans des industries comme la confection, l’agro-alimentaire, et autres secteurs traditionnels. Pour y arriver, des interventions ponctuelles dans le domaine de la formation professionnelle, des infrastructures, de l’accès au crédit, de l’environnement de l’entreprise, sont requises.
Un autre domaine dans lequel le pays peut avoir un avantage comparatif est celui intensif en technologie verte. Les crises alimentaires que l’humanité a connues ces dernières années ont complètement changé les choix technologiques des entreprises, donné plus de valeur à la terre et influencer les politiques économiques nationales dans le sens d’une meilleure prise en compte des contraintes climatiques. Il est à prévoir que ces tendances aillent en se renforçant les toutes prochaines années. Or, la République du Congo a beaucoup d’atouts à faire valoir dans ce domaine, du fait de ses énormes réserves foncières et naturelles. Dans le domaine du tourisme, de l’agriculture, de l’agro-industrie et des industries traditionnelles, il existe d’importantes niches de compétitivité dont le pays pourrait se servir pour construire une base industrielle.
Auparavant, il convient de s’attaquer à quatre obstacles qui empêchent l’essor du secteur industriel congolais, à savoir : le faible niveau des infrastructures de transport, d’énergie et de télécommunication, les difficultés d’accès au financement, le faible niveau du capital humain et le manque de vision politique.
C’est à un État stratège, protecteur plutôt que protectionniste, qu’en appellent désormais et sans complexe les acteurs économiques. Il y a un retour aujourd’hui de la politique industrielle dans laquelle le secteur privé est un partenaire incontournable. En attestent ces pays qui ont réussi, en dialoguant avec ces acteurs privés, et grâce à une politique volontariste forte, à développer leurs marchés de niche. C’est le cas de l’Éthiopie qui est parvenue à faire émerger une industrie textile performante au niveau mondial en attirant grâce à des technoparcs des groupes européens qui ciblaient jusqu’ici la Chine, le Vietnam ou le Bangladesh.

Dr Fulbert IBARA
Economiste
Cabinet d’Expertise Immobilière, Etudes économiques et environnementales (CExI.3E).