Nous y voilà: notre pays célèbre ses 60 ans d’indépendance. L’âge est vénérable et notre Histoire jalonnée de beaucoup d’événements, pas toujours heureux. L’année dernière, nous nous interrogions déjà sur le sens de cette indépendance octroyée: indépendants de quoi, de qui, alors que nous ne sommes toujours pas capables de fabriquer notre aiguille? Et que nous ne produisons pas à suffisance sur nos terres de quoi nous nourrir?
Notre parcours en soixante ans n’offre pas beaucoup d’aspérités sur lesquelles arrêter notre regard. Nous sommes indépendants depuis 60 ans, mais c’est comme si nous l’étions d’hier. Nous sommes toujours, au plan économique, les accros aux sollicitations et aux quémandes. Nous sommes toujours aussi fragiles au plan social. Et la notion de citoyen, hier scandée dans l’espérance en des lendemains qui chantent, est toujours brume et suspicion.
Dans les travées de l’opposition, on moque une souveraineté titubante, à géométries variables. Mais, même à demi-mots dans la majorité, la conviction n’est pas peu assise qu’il nous manque effectivement quelque chose pour «faire indépendants». Que toutes nos tentatives, hier avec le bloc communiste pour mieux contrer le colonisateur et ses visées capitalistes, ne nous ont pas installés sur la voie de la conviction et de la rigueur patriotiques. On dilapide parce que nos ressources ne sont pas considérées comme nationales.
Nous avons passé nos soixante ans à nous préoccuper de confort et de quant-à-soi. Aucune affirmation de cette souveraineté qui faisait rêver nos pères à un drapeau respecté, à une monnaie forte, colonne vertébrale de notre développement, en des cadres nationaux préoccupés du seul bien-être des Congolais, d’une vigilance jalouse aux frontières, d’une honnêteté capable de maintenir toujours à flot l’état de nos finances. Rien. Nous sommes mal classés dans les tableaux de vertu…
Nos pères disaient – ils l’écrivaient aussi de temps à autre dans La Semaine Africaine, vieille de 8 ans de plus que notre indépendance – que celle-ci serait synonyme du soleil qui se levait pour dissiper les brumes de la soumission. Ils espéraient que nous serions désormais nos propres maîtres pour notre bien. Et que vert, jaune et rouge, les trois couleurs de notre reconnaissance à l’international seraient pour renforcer notre identité et notre appartenance communes à une seule nation; notre respectabilité.
Sur ce dernier aspect, il peut s’en trouver pour objecter et trouver des traits, circonstances atténuantes d’un condamné. Mais la réalité qui nous est dépeinte ne sort pas du cadre de la médiocrité ambiante. Soixante ans d’indépendance, soixante ans d’évolution à rebours, soixante ans de souffrances auto-infligées. Hier, c’est à coups de fouets que nos grands-parents produisaient du caoutchouc pour le colon.
Aujourd’hui, sans contrainte même morale, c’est à coups d’indifférence que nous voyons nos frères et sœurs mourir à l’hôpital. Nous sommes nombreux à ne pas avoir connu la réalité d’hier, mais nous sommes nombreux aussi à ne pas connaître la réalité qui devait être. A désespérer de la voir. Soixante ans, oui mais avec ou sans dents pour mordre dans le développement?
Albert S. MIANZOUKOUTA