C’est peu de dire que la République démocratique du Congo, l’Afrique Centrale et l’Eglise universelle viennent de perdre un de leurs représentants les plus dignes. Une immensité aux plans pastoral, intellectuel et citoyen. Et le disant, je suis conscient de faire du tort à tous ceux qui, comme lui, ont fait de l’annonce sans compromission de la Parole de Dieu leur «métier» pour leurs peuples. Et qui ont assumé cette vocation malgré risques et périls : ils sont nombreux en Afrique et dans le monde !
Mais toutes les personnes de talent et de vertus ne sont pas dotées des mêmes talents, ne les expriment pas de la même manière, n’ont pas la même propension à affronter les impératifs des temps. Tous ne révèlent pas la même inflexible opiniâtreté pour suivre et rester fidèles à leurs convictions. Quand ils disent vouloir suivre le Seigneur, leur Maître, c’est pour prendre chez lui cette royauté qui est aussi faite d’épines tressées.
Nous venons de perdre un réel baobab. «Nous» oui, parce qu’aussi bien par son jovial entregent, le déploiement débordant de ses champs d’intervention que par le respect que lui vouaient les personnalités politiques les plus diverses et les plus contradictoires chez nous, le Cardinal Monsengwo avait cessé de n’appartenir qu’à la seule République démocratique du Congo.
Ou même à la seule Eglise catholique. D’ailleurs, le fait que le Pape ait fait appel à lui dans le cercle restreint des neufs experts chargés de conseiller le Vatican dans la réforme de sa Curie romaine, souligne déjà une manière d’universalité. Pourtant, le Cardinal était bel et bien un fils de cette terre congolaise chantée par les poètes, arrosée du sang de Lumumba. A plusieurs reprises par le passé, récent ou lointain, il a su prendre position pour son peuple, faisant parfois craindre pour sa vie de courage.
A Brazzaville, il était chez lui. Doté de capacités intellectuelles au-dessus de la moyenne, il était aussi à l’aise dans l’une que dans l’autre de nos deux langues nationales. Et à l’étranger, je l’ai vu plus d’une fois au Vatican tenir trois conversations en trois langues étrangères différentes sans rechercher ses mots. Ni se faire répéter des phrases par aucun de ses interlocuteurs anglais, italiens ou allemands.
C’est au cours du voyage du Pape (le Pape Jean-Paul II) au Nigéria, en mars 1998, que je fis vraiment la connaissance du Cardinal de sensibilité. A Abuja ce soir-là, nous passâmes près de trois heures à parler de tout et de rien, éloignant d’instinct tous ceux qui voulaient se mêler à nous et qui constataient ensuite que nous conversions… en lingala !
Le grand Pasteur de Kinshasa nous quitte après bien des missions accomplies. Toutes les batailles qu’il a engagées n’ont pas été toutes couronnées de succès. La Conférence nationale souveraine qu’il présida dans l’alors Zaïre n’est pas à ranger parmi les œuvres les plus abouties. Mais il y imprima sa marque indélébile. Après le Cardinal Tumi du Cameroun, en avril dernier, le Cardinal Monsengwo s’en va en nous plongeant dans une sorte d’orphelinat sans frontières.

Albert S. MIANZOUKOUTA