Jamais auparavant les échanges entre les deux rives du fleuve Congo n’auront été aussi intrigants. A la faveur de la 34è Coupe d’Afrique des Nations de football en Côte d’Ivoire qui a vu la qualification de la République démocratique du Congo et l’élimination de la République du Congo, les capitales les plus proches au monde tirent partie de cette situation. Les uns, pour charrier subtilement les échoués à cette mythique compétition, les autres pour tirer la langue à ceux qu’ils voient incapables de franchir la moindre étape.
Cette guéguerre entre voisins exploite aussi un fond potentiellement dramatique : l’historique montée des eaux du fleuve Congo cette année qui s’est traduite de part et d’autre, dans les deux pays, par des villages inondés et des habitations englouties. Et des morts. «Il faut surveiller le fleuve» : c’est la consigne. Sur l’un des tableaux peints aux couleurs chatoyantes, l’un des vidéastes recommande aux Congolais qui restent d’être sages, de garder l’œil sur le fleuve. «Faites attention au fleuve. Nous partons botter le train à ces Ivoiriens et nous revenons. Mais ne touchez pas aux poissons surtout !»
Dans une autre vidéo, les jeunes de Kinshasa édictent les tours de surveillance du fleuve pour les populations de Brazzaville. Tout le monde doit s’y mettre. « Sauf le président de la République», précisent-ils, arguant de sa surcharge de travail pour le ménager. Naturellement, la toile s’enflamme : pour rétorquer, répliquer, rectifier, ramener à la surface des anecdotes fâcheuses du passé récent ; souligner les stéréotypes tenaces que les uns collent aux autres. Le tout dans une ambiance bon-enfant, entre voisins. Tant mieux.
Parce qu’il y a quelques semaines, l’air entre les deux voisins n’était pas à la détente mais à la menace. Sous l’accusation que le Congo Brazzaville était trop proche du Rwanda, des insultes ont fusé, des nationalismes ont été égratignés. On s’est demandé si tout ceci n’était pas parti pour se terminer en une situation plus explosive, dans un contexte d’élections générales en RDC. Les quolibets actuels par-dessus le fleuve dénotent un choix certain de dédramatisation et de rappel à l’essentiel, la gestion détendue des impératifs environnementaux.

Albert S. MIANZOUKOUTA