Avant, cela nous scandalisait. Puis, cela a étonné. Aujourd’hui que nous sommes blasés, on hausse les épaules et on passe à autre chose. La pratique de réclamer 10% d’un marché ou d’un service, du plus important au plus banal, s’est incrustée dans le paysage. Au point qu’il n’y a plus acte gratuit qui soit. Dans certaines administrations, une escouade de rabatteurs est même ostensiblement à pied d’œuvre à l’entrée, pour «conseiller» le bureau ou le fonctionnaire le plus accommodant.
«C’est le pays», dit-on, en haussant les épaules; «on n’a rien, sans rien» ! La philosophie s’est rendue aux arguments de l’incivisme, au point que jouer les «pères-la-morale», c’est perdre son temps. Ou même se faire dépasser par ceux qui connaissent ces règles-là et y obéissent du mieux de leur efficacité. Et, d’ailleurs, les choses vont tellement vite et évoluent avec le temps que parler de «10%», c’est faire preuve de ringardise.
On vous rira franchement au nez là où vous proposerez, ingénu, une simple bière quand c’est un magnum de champagne qu’on attend. Proposez 1000 F. à un surveillant de collège, 5000 F. à un proviseur de lycée, c’est se moquer du monde ! C’est courir le risque de voir son enfant répéter sa classe et se faire doubler par ceux qui étaient des cancres. C’est prendre le risque de la vertu dans un monde où tout, absolument, se négocie, se marchande, s’évalue à la grosseur d’un billet de banque.
La règle est la même, qu’on aille pour toucher un chèque au Trésor public, pour introduire ou faire avancer son dossier de retraite, se faire embaucher dans la Fonction publique ou passer, par pure forme, un concours d’accès à une grande école. Se peut-il que la rumeur sur des détournements de deniers publics colossaux ne soit qu’une rumeur? Il faut bien le croire, car nous ne voyons pas beaucoup de «gros poisons» pris dans les filets des services de lutte contre la fraude depuis que le Président de la République l’a annoncé.
Le tableau est des plus schizophréniques: d’un côté, nous crions à tue-tête pour que le FMI nous octroie des facilités de crédit (nous prête de l’argent), et de l’autre nous multiplions les signes d’une insouciance avérée. Les deux actions s’annulent. Les proclamations de lutte contre les antivaleurs resteront dans l’air et ne s’ancreront pas au cœur des mentalités. Or c’est la condition pour que, argent octroyé ou gagné, nous apprenions à bien gérer nos finances.

Albert S. MIANZOUKOUTA