La République sœur d’Haïti est de nouveau pliée sous la douleur des événements naturels et des contingences de la vie. On dirait un acharnement sur nos frères et sœurs, tellement les événements difficiles se succèdent, causant des morts innombrables. Au moment où ces lignes sont écrites, ces morts se chiffrent à presque 1400 ; hommes, femmes et enfants gémissent sous les décombres après les tremblements de terre de samedi et dimanche.
En 2010 déjà, un tremblement de terre dévastateur avait fait plus de 200.000, et le pays commençait à peine à se relever de cette première mise à genoux. Ensuite a suivi une longue crise politique, qui a vu s’alterner au pouvoir les personnalités les plus diverses (y compris un prêtre, le Père Jean-Bertrand Aristide), alors que Haïti était traversé par des épisodes de violence confinant au gangstérisme généralisé. Le dernier Président de la République, Jouvenel Moïse, en est mort : l’enquête est toujours en cours pour déterminer ses assassins.
Comme tous les pays, Haïti est aussi en proie à cette pandémie de coronavirus qui ne laisse personne dans la quiétude. Le virus s’y développe et y a causé de nombreux morts; il n’a pas été écrasé par la survenue du tremblement de terre. Le pays, qui était encore sous l‘effet du premier tremblement de terre de 2010, a vu son système sanitaire pris en étau par un mal d’autant plus meurtrier qu’il est invisible. Le virus ajoute au poids des meurtrissures d’un peuple et d’une Nation.
Haïti est géographiquement loin de nous. Mais ce pays des Caraïbes est plus près de nous que nombreux le pensent. D’abord, parce que, colonisé comme nous, il a su relever sa tête une première fois à la fin du 19è siècle, affrontant l’armée de Napoléon. Il sut la relever une deuxième fois en gagnant son indépendance, en 1804, établissant ainsi la primauté absolue de la première République noire à gagner son indépendance. Et cette primauté n’en rend que plus douloureuse la succession des malheurs qui s’abattent sur un pays frère alors que nous chantons notre propre indépendance.
Frère, oui, parce que tous les historiens, les linguistes et les anthropologues l’attestent : beaucoup des esclaves qui ont peuplé Haïti venaient de la baie de Loango, au Congo. Dans le parler, les cosmogonies et les rites culturels, il reste une trace vivace des traits congolais chez les Haïtiens. C’est donc un peu de nous qui se consume sous les gravats des Gonaïves. Non que la douleur qui nous touche ne doive être que celle des proches, mais à regarder un drame qui se consume sous nos yeux, nous en oublions que ceux qui se tordent de douleur là-bas, c’est aussi nous.

Albert S. MIANZOUKOUTA