Réunis en Assemblée générale à Brazzaville le 21 novembre 2020, les avocats ont élu Maître Claude Coelho au poste de bâtonnier national de l’Ordre des Avocats du Congo. Le programme de candidature de ce ténor du barreau de Pointe-Noire et ancien bâtonnier local a, apparemment, convaincu ses confrères. Il s’engage à œuvrer pour élever le niveau professionnel des avocats par la formation, défendre leur périmètre d’actions, pour une immunité civile et pénale dans l’exercice de ses fonctions, et généralement de manière globale, de participer activement à la réforme du système judiciaire du Congo.

*Maître Claude Coelho vous êtes le nouveau Bâtonnier national de l’ordre des avocats du Congo. Quels sentiments vous animent suite à votre élection?
**C’est un sentiment contrasté. Un sentiment de joie et de gravité que de recevoir cet honneur. Je mesure la tâche qui est la mienne dans ce sens que je suis le représentant de toute une corporation et j’endosse donc cette lourde responsabilité, car à ce moment il faut avoir une conception intransigeante de l’honneur et de l’exercice de la profession d’avocat. C’est une lourde responsabilité, dans ce sens que je me suis engagé à faire avancer la pratique de la profession à travers les projets contenus dans mon programme de candidature.

*Bâtonnier de l’ordre national, qu’est-ce que cela veut dire et quelle sera votre mission ?
**La loi 026/92 du 20 aout 1992 portant organisation de la profession d’avocat dans son article 4 dispose que l’ordre national regroupe l’ensemble des avocats régulièrement inscrits au Barreau. Et l’article 5 précise que l’ordre national est administré par un Conseil, dont le président porte le titre de bâtonnier de l’ordre national des avocats. Le bâtonnier est élu pour deux ans par l’Assemblée générale des avocats inscrits au tableau. Il est choisi parmi les bâtonniers ou les anciens bâtonniers et il est rééligible.
La loi précise le rôle et/ou les missions du bâtonnier. Je ne vais les citer entièrement ici. Il s’agit entre autres, de contrôler le fonctionnement de l’ordre national, de statuer sur l’inscription au tableau des avocats, de décider d’office ou à la demande du procureur général sur l’admission en stage, sur la réinscription des avocats au tableau après suspension ou interruption de leurs activités, d’élaborer le règlement intérieur de l’ordre national, de fixer les principes généraux d’organisation des stages, de fixer les conditions de rémunération des avocats stagiaires, de fixer les cotisations à l’ordre national , de veiller à l’élévation du niveau professionnel des avocats et à la formation des avocats stagiaires, d’assurer la défense des intérêts de la profession, de traiter toutes question concernant l’exercice de la profession et la création des cabinets secondaires, de gérer les biens de l’ordre, de conférer l’honorariat, etc. Bref, le bâtonnier représente l’ordre national des avocats dans tous les actes de la vie civile.

*Que comptez-vous faire pendant ces deux ans de votre mandat ?
**J’ai été élu sur la base d’un programme. Je ne peux pas le dérouler entièrement dans les colonnes de votre journal. En résumé, mon action en tant que bâtonnier va se focaliser durant mon mandat sur les points suivants :
La formation des avocats qui sera mon cheval de bataille. C’est un point très important car nous sommes liés à une obligation de compétence. Et pour être compétent il faut être formé. Je veillerais à ce que les avocats soient formés pour aller vers la spécialisation, qui va les rendre plus efficaces et compétents dans un domaine précis.
Le deuxième point ne dépend pas tellement de moi, mais plutôt des réformes structurelles et textuelles. Il se trouve que le droit est devenu aujourd’hui un droit ou un domaine technique. Il faudrait rendre à César ce qui est à César. C’est à dire le Ministère d’avocat obligatoire. Autrement dit aux professionnels du droit que nous sommes ce qui nous revient. Parce que, imaginez-vous qu’au Congo le ministère d’avocat n’est obligatoire que devant la cour suprême, et dans une seule matière relevant de l’acte uniforme de l’OHADA: c’est la saisie immobilière. Il faudrait que le ministère d’avocat devienne aussi obligatoire devant la cour d’appel, devant les chambres administratives, devant le tribunal de commerce et même devant les tribunaux correctionnels parce qu’on parle de libertés individuelles et publiques. Ce sont des impératifs si on veut entrer dans les standards internationaux. Ailleurs ou dans d’autres domaines, on peut peut-être ‘’s’en passer’’, encore que le droit du travail, le droit civil sont des matières qui parlent de l’état des personnes, qui parlent de succession etc., et ils sont aujourd’hui sources de beaucoup de conflits.
Le troisième point pour lequel je vais me battre est celui de l’immunité civile et pénale de l’avocat. J’ai toujours pensé que nous effectuons une mission de service public et on doit le protéger. On ne devrait pas nous prendre pour de vulgaires citoyens, même si nous sommes tous égaux devant la loi. Il nous faut une immunité pour éviter la rupture de l’égalité des charges.
Les avocats doivent bénéficier de l’immunité civile et pénale comme les magistrats, les officiers de police judiciaires, les députés, les sénateurs et les membres du Gouvernement. Une immunité qui peut être levée devant la cour suprême. Tous nous effectuons des missions de service public. Je ne vois pas pourquoi certains ont des avantages sur d’autres. Je ne dis pas qu’on ne doit pas être sanctionné, mais plutôt dans le formalisme nous devrons tous être logés à la même enseigne.

*Le comportement indélicat de certains avocats est souvent décrié, on parle de détournement d’argent des clients, de corruption, etc. Qu’en dites-vous?
J’ai une obligation de réserve sur ce sujet parce que je suis avocats. Mais je crois qu’il y **a aussi du fantasme dans tout cela. Quand on parle de détournement ou de corruption des avocats, je pense que ce n’est pas si criant que cela. Il y a quelques rares cas qui ont défrayé la chronique, mais sur le fond les éléments constitutifs des délits reprochés aux avocats ne sont généralement pas constitués. Souvent c’est la méconnaissance des lois et des procédures par les justiciables qui amène les gens à parler d’avocat ou de juges corrompus. Je ne prêche pas pour sa paroisse, mais je pense que c’est cela la réalité. Dans tous les cas, chaque fois qu’un avocat commet un délit il est sanctionné.

*Dans votre programme de candidature vous parler de défense du périmètre d’actions. De quoi s’agit-il ?
**Je voudrais d’abord et surtout rappeler aux pouvoirs publics, qu’en application de l’article 1 de la loi de 1992, aucun tribunal ni autorité administrative devant lesquels le droit d’être assisté par un conseil est reconnu, ne peuvent refuser de reconnaitre le droit d’un avocat à comparaître devant elle au nom de son client. Les pouvoirs publics doivent savoir que la justice élève une nation. Le bâtonnier national de l’ordre des avocats que je suis va coopérer avec les pouvoirs publics pour faire en sorte que l’avocat ait effectivement accès et exerce sans entraves ses missions d’assistance et de conseil du justiciable. Ensemble avec les membres des conseils des barreaux locaux nous allons mener une bataille contre le rétrécissement du périmètre d’actions de l’avocat. C’est pour tout cela que je parlais tantôt du ministère d’avocat obligatoire. Nous allons combattre légalement les ‘’braconniers du droit’’.
Je voudrais aussi rappeler à mes confrères que nous devons nous adapter au marché du 21e siècle, récupérer notre champ d’actions ou conquérir le périmètre légal de nos activités. Je prends un chiffre pour illustrer mon propos. Durant les années fastes de notre économie, la masse monétaire dépensée par les justiciables pour les professions libérales avoisinait les 10 milliards de FCFA. Les avocats n’ont perçu qu’approximativement 1 milliard de FCFA. C’est très insignifiant, c’est la conséquence, entre autres des braconniers du droit. Nous devrons ‘’récupérer les niches des marchés perdus’’.
Le bâtonnier que je suis, voudrait que les avocats aient l’ambition de leur avenir. ‘’La capacité de vaincre la peur s’appelle le courage. N’ayons pas peur, nous avons la force et les moyens de résister, d’inventer et d’écrire l’avenir’’ dixit Nelson Mandela.

Propos recueillis par
Jean
BANZOUZI MALONGA