Depuis décembre 2023, la «flotte fantôme» russe, utilisée pour échapper aux sanctions occidentales sur le pétrole, enregistre de nombreux navires sous pavillon gabonais. Selon des sources, 40 pétroliers battant le drapeau du pays d’Afrique centrale ont récemment visité des ports russes.
Depuis le mois de décembre 2023, le Gabon a vu les demandes d’immatriculation de pétroliers comme le Sappho se multiplier. Selon le décompte des experts, ils sont 95 à être aujourd’hui rattachés à l’État d’Afrique centrale. Une récente étude de la Kyiv School of Economics pointe le phénomène du doigt. D’après ses chercheurs, le Gabon serait devenu l’un des nouveaux alliés de circonstance de la «flotte fantôme» mise sur pied par la Russie. «Moscou a recours à des juridictions de plus en plus opaques et le Gabon est l’une d’entre elles», souligne Benjamin Hilgenstock, économiste au sein de la Kyiv School of Economics.
Cette flotte de navires, aussi appelée «flotte de l’ombre», est bien connue des chercheurs. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les pays du G7 et de l’Union européenne ont imposé un embargo sur l’or noir de Moscou. Et la sanction est double. Non seulement, ils interdisent à leurs membres de s’en procurer, mais son prix est plafonné quand il est vendu à d’autres pays. Concrètement, si ces derniers achètent ce pétrole, ils le paient moins de 60 dollars le baril, bien en dessous des cours en vigueur sur le marché.
Pour continuer à négocier au meilleur prix un brut vital pour son économie, la Russie aurait mis en place une «flotte fantôme» capable de contourner les sanctions occidentales. Un mécanisme déjà utilisé par le Venezuela et l’Iran pour échapper à l’embargo américain. Afin de passer sous les radars, le Kremlin fait appel à des tankers ni assurés, ni possédés par des sociétés installées dans des pays du G7. La Kyiv School of Economics estime ainsi qu’en juin 2024, ces navires ont transporté 4,1 millions de barils de pétrole par jour, qui ainsi ont échappé au plafonnement des prix. Soit davantage que la production du Nigeria, de la Libye et de l’Angola réunis, le trio de tête des exportateurs africains.
Quand les Occidentaux mettent en place les sanctions en juin 2022, Moscou enregistre d’abord ses navires sous pavillon libérien. «L’idée est de mettre le plus de distance entre la flotte fantôme et la Russie», explique Craig Kennedy, chercheur à l’université de Harvard, spécialiste de la flotte fantôme.
Externaliser son registre est une pratique courante et tout à fait légale, confirme un porte-parole de l’Organisation maritime internationale. Mais «fin décembre 2023, les États-Unis se rendent compte que la société qui gère le registre libérien est basée en Virginie, aux États-Unis», raconte Craig Kennedy. Washington fait alors pression sur Monrovia et en quelques jours, tous les tankers associés à la «flotte de l’ombre» se voient retirer leur pavillon.
C’est là que le Gabon entre en scène. En moins d’une semaine, des dizaines de pétroliers adoptent le passeport gabonais. D’après une source, sur les 95 tankers qui utilisent ce pavillon aujourd’hui, au moins 40 ont récemment visité des ports russes. Ces navires prennent ensuite la direction de la Chine, de l’Inde ou de la Turquie, des pays parmi les plus gros clients de Moscou.
Depuis septembre 2018, la gestion du pavillon gabonais est entre les mains d’une société émirienne, Intershipping Services. Sur son site, l’entreprise se présente comme le «seul représentant autorisé des autorités maritimes du Gabon », en vertu d’un accord signé à Libreville, avec le ministre des Transports de l’époque, Justin Ndoundangoye.
Solidaires de l’Ukraine, les Occidentaux tentent depuis plusieurs mois de limiter la capacité d’action de la «flotte fantôme». En juin 2024, les pays de l’Union européenne ont adopté des sanctions, notamment l’interdiction de l’accès aux ports des pays de l’UE, contre 27 navires qui ont contribué à l’effort de guerre de la Russie, dont des tankers ayant transporté du brut pour le compte de Moscou. De leur côté, les États-Unis établissent des listes de pétroliers qu’ils soupçonnent d’être membres de cette flotte. Engagé aux côtés de l’Union européenne dans la lutte contre la flotte fantôme, Paris reconnaît être informé de l’utilisation par cette dernière de navires immatriculés au Gabon. Une source diplomatique française confie que «des démarches sont engagées auprès des pays comme le Gabon pour les sensibiliser aux risques associés et leurs responsabilités au regard du droit maritime».
Gaule D’AMBERT