C’est incontestable: l’ancien footballeur professionnel Martin N’Kouka, dit ‘’Matins’’, est de ceux qui comptaient au Congo et dans le championnat de France de division I des années 1980. Nous l’avons rencontré à la faveur de son récent séjour de trois semaines à Brazzaville. A 61 ans, il revient sur ses années passées à jouer au ballon rond, au mwana-foot, dans Diables-Noirs et au SC Toulon en France.

*N’Kouka ‘’Matins’’, comment avez-vous atterri dans le monde du football?
**Mes débuts sont ceux de tous les joueurs congolais. Je jouais d’abord au mwana-foot à Moungali, à l’esplanade des «Dix maisons», au sein de Chatler, en compagnie notamment de Justin Mvouayamadé et de Joseph Moundane. Nous étions les plaques tournantes de l’équipe. Ma génération est celle de Mouyabi ‘’Shaleur’’ (Kotoko de Mfoa). J’étais déjà, à cette époque, supporter fervent des Diables-Noirs. Un jour, j’ai assisté au match-phare du championnat qui les avait opposés à l’Etoile du Congo conduite par Ndomba ‘’Géomètre’’. La marque: 5-0 en faveur de l’encombrant rival stellien. J’en étais sincèrement catastrophé. Révolté, je me suis dit: plutôt que de rester dans mon coin à me morfondre, autant aller prendre une licence chez les Diables-Noirs.

*Comment étaient votre intégration et vos débuts?
Sans temps mort ni perte de temps. A mon arrivée, j’ai trouvé des célébrités comme Mbemba ‘’Tostao’’, Maxime Matsima, Dzabana ‘’Jadot’’, Bikouri, etc. Certains étaient au crépuscule de leur carrière. Mais d’autres étaient de ma génération: les frères Bitambiki (Médard et Ben), Sadi ‘’Bleck’’, Mounoundzi, Massamba ‘’Mams’’, Mboungou ‘’Soum’’, Wamba ‘’La Josée’’, Matoméné, Bitémo, etc. Je n’ai pas tardé à faire la conquête du difficile public des Diables-Noirs.

*Quels étaient vos adversaires de taille?
**Il y avait Patronage Sainte-Anne, CARA, Etoile du Congo. Chaque équipe avait ses vedettes consacrées: Malonga ‘’Kapata’’, Aubin Kimbolo, Nkouori ‘’Pagnol’’, Ebomoua, pour Patronage; Mamounoubala, Mbouta, Nganga-Mwivi, Lassy, Yanghat, Emmanuel Mboungou, etc., pour CARA; Ndomba, Okouo-Akaba, Ngatsono, Tsiélantsiéné, Bonazébi, Ngassébé, Fidissa, etc., pour Etoile du Congo. Nous livrions des derbys appréciés par le public. En 1976, j’ai gagné un titre de champion du Congo qui nous a ouvert le chemin de l’Afrique en 1977. Malheureusement Hafia FC de Guinée nous a éliminés au deuxième tour. En 1978, j’ai donné un coup de main à l’Inter Club, en Coupe des vainqueurs de coupe. MAHD d’Algérie nous a sortis au second tour. Je garde un bon souvenir de mon passage dans cette équipe où j’ai côtoyé des grands noms comme Moukila, Minga, Balékita et Ndolou, devenu général des FAC, etc.

*Après un passage éclair au Gabon, vous optez pour la France. Comment cela s’est-il passé?
**Je pars de Brazzaville en octobre 1980. J’atterris à Salon de Provence, non loin de Marseille. J’y ai passé une saison. Or, les dirigeants du SC Toulon me supervisaient à mon insu. L’année d’après, ils m’ont approché et convoqué en bonne et due forme pour des essais qui ont été concluants. Il restait une formalité administrative à remplir: la confection du premier vrai contrat. J’ai signé d’abord comme stagiaire. Dans cette équipe, le souvenir d’un autre Congolais, Jean-Bertrand Claise Balékita ‘’Zézé’’, était toujours présent. On ne me parlait que du bien de lui: un garçon excellent, très fort. C’était une grande fierté pour moi de savoir que mon aîné avait laissé de bons souvenirs.

*Comment les choses se sont-elles passées à Toulon?
**J’étais logé à l’hôtel jusqu’au moment où les dirigeants m’ont trouvé un appartement. A mon arrivée, il n’y avait pas beaucoup de Congolais dans le foot français, excepté François M’Pelé et Roger Nzaba. Les autres sont arrivés bien après, à l’instar de Gaspard Ngouété, Ndomba, Mbama, Makita, Mouyabi ‘’Shaleur’’, etc. Avec eux, on commençait à échanger au téléphone. J’ai marqué mon époque en laissant une bonne image. Aujourd’hui, partout où je passe les gens se souviennent de moi. Nous avons fait monter cette équipe de la D2 en D1 où j’ai évolué pendant trois saisons.

*Quels sont vos rapports avec les autres footballeurs congolais évoluant en France?
**Les jeunes ne contactent pas les anciens pour prendre des renseignements. Et très souvent, ils sont mal orientés. Et parfois, on leur fait signer des contrats fictifs, ce qui les met souvent en difficulté. Pas surprenant qu’un matin, certains se retrouvent à la rue.

*Votre carrière, c’est aussi l’équipe nationale. Le souvenir du match Congo-Zaïre de 5 à 2 vous revient-il à la mémoire?
**C’est toujours un énorme plaisir de porter les couleurs de l’équipe nationale et de les honorer. Nous avions été les ambassadeurs de ce pays pendant des années, malheureusement quand on rentre au bercail les gens ne pensent pas à nous. Beaucoup de personnes que j’ai rencontrées ont été traumatisées par la tournure de ce match contre le Zaïre. De même que nous qui étions venus le jouer. Il est incompréhensible de faire venir des joueurs de loin, qui ont beaucoup d’expérience comme moi qui jouais en France en D1 ou Ngouété en D2, pour les laisser sur le banc de touche et finalement ramasser un 5-2. Je n’ai jamais compris cela! J’étais le meilleur ailier de France; une référence. Tout le monde le savait ici. Malheureusement, nous avions vu ce qui s’était passé. Le Congo est quand même une grande nation de football. Je ne dénigre pas les joueurs locaux. Mais quand on fait venir les joueurs de l’extérieur, il faut compter sur eux. Au match retour, on a montré ce qu’on valait; le résultat de 0-0 en est une preuve.

*Les Diables-Rouges ne participent presque plus à la CAN. Votre avis?
** Nous étions au-dessus de nombreux pays, mais avons régressé. Je regarde parfois les éliminatoires, et à l’arrivée le Congo est absent de la phase finale. J’entends souvent les gens dire: et pourtant le Burkina est présent. Je pense qu’il nous faut une bonne organisation et un changement radical de mentalité pour espérer voir notre football progresser vraiment.

*Pour terminer, que devenez-vous?
On ne peut malheureusement pas toujours jouer au foot. Je suis à la retraite depuis longtemps. J’entraînais les petits de 11 ans à Toulon, mais j’ai arrêté parce que ça commençait à me souler. En prenant de l’âge, il faut avoir un temps de repos. Je me consacre désormais à mon travail à la mairie de Toulon et à mes cinq petits-enfants. Je ne regrette rien, j’ai fait une carrière professionnelle intéressante, même si financièrement je ne gagnais pas grand-chose. J’ai pu quand même faire des choses. De temps à autre, quand l’occasion se présente, je joue des matches avec mes anciens coéquipiers, surtout quand il s’agit de ceux organisés par les associations caritatives.

Entretien réalisé par AP MASSAMBA &
LS MAKOUMBOU