Heureux sont les vrais poètes qui ont reçu du ciel la noble mission de rompre avec l’accoutumance. Au nombre de ces vrais poètes que compte notre pays, le Congo, Jean-Blaise Bilombo Samba occupe une place de choix. En effet, c’est à l’âge de 19 ans qu’il offre à l’humanité les premiers fruits de sa quête poétique, un recueil intitulé ”Témoignages”, publié chez JP Oswald, en 1976, qui annonce la couleur d’une poésie rigoureuse, digne d’un humaniste.

S’en suivront, ensuite, trois recueils de poésie, plus précisément «Hors la nuit», en 1993, chez L’Harmattan; «Élégies libertaires», paru chez Lemba, en 2003; puis « Brûleurs d’ombres », en 2003, chez L’Harmattan.
Mûrir la réflexion, avant de publier une œuvre, a toujours été une préoccupation du poète. C’est dans ce sens qu’il nous présente actuellement «L’Homme adépendant», après 17 ans de méditation et d’observation.
La particularité de ce chef-d’œuvre ne s’explique pas seulement par son volume impressionnant (245 pages); mais surtout par la quintessence du message qu’il nous livre sous la forme des palabres-poèmes.
Mais, pourquoi des palabres-poèmes et non pas simplement des poèmes?
Nul n’ignore que dans la tradition bantoue, la palabre est un haut moment d’échange et de dialogue. En effet, de l’étymologie grecque, le dialogue s’explique de cette manière: «dia» désigne ce qui traverse et le «logos» renvoie à la parole. En d’autres termes, c’est la rencontre des données réflexives sortant de l’entendement de plusieurs humains réunis en vue d’obtenir des solutions aux problèmes qui se posent avec acuité.
Par ailleurs, le concept palabre-poème est un néologisme de Bilombo Samba, venant probablement d’une urgence qui s’est imposée au poète, question de mieux faire passer son message, et de revigorer en donner un dynamisme et tout le sens aux poèmes, afin de faire asseoir les conditions de l’instauration d’un bonheur appréciable dans la vie humaine.
La palabre-poème est une invite, une interpellation de la conscience qui s’engage par le biais de la réflexion critique. La palabre donne plusieurs voix à un poème permettant ainsi d’explorer tous les contours de la thématique abordée. Et Jean-Blaise Bilombo Samba souligne, avec force: «Chaque palabre-poème renoue à une séquence singulière de mon patient cheminement sur la terre des hommes». (P.8)
L’introduction qui pourrait être prise pour une partie entière du recueil s’intitule Conscience du palabreur et va de la page 7 à 17. Elle présente, avec force et détails, le parcours et la détermination du poète. On comprend clairement, ici, que la littérature est une incontestable manière de se battre pour se construire. Jean Paul Sartre n’a pas eu tort de préciser: «La littérature vous jette dans la bataille; écrire c’est une certaine façon de vouloir, la liberté; si vous avez commencé, de gré ou de force, vous êtes engagés.» (Bibliographie de Jean Paul Sartre)
Cet engagement à la manière de Sartre et de Césaire, on ne le trouve que chez les rares belles âmes incorruptibles comme celle de Jean-Blaise Bilombo Samba. À titre d’exemple, il réactualise le concept adépendance, usité avec force par l’écrivain dramaturge et poète Aimé Césaire pour désigner tout refus d’exploitation de l’homme par l’homme. Le concept adépendance dit «Bilombo Samba à cinglé dans ma conscience comme une gifle pour un réveil sans retour, en arrière, j’ai reçu ce concept comme une injonction supérieure de saisine cognitive, territoriale, raciale, religieuse… C’est l’enjeu d’existence et de responsabilité citoyenne éthique».
En dehors du texte d’ouverture, douze palabres-poèmes répartis en 3 actes fondent l’avènement de l’homme adépendant. C’est à dessein que le premier acte s’intitule ”Sikama” ou l’acte de s’apprêter, de se tenir prêt pour affronter quoi que ce soit. Il va de la page 27 à la page 75. À vrai dire, il s’agit de se tenir prêt pour le combat. Une réminiscence de la vie scolaire du poète nous fait comprendre qu’enfant, il avait humé le parfum des rudes épreuves de la vie. «La mort n’est pas le voyage le plus sombre du temps humain», écrit-il à ce sujet (P.51). Son pays suscitait déjà en lui du doute face aux ténèbres (P.33). Ce premier acte comprend des palabres-poèmes qui traduisent clairement sa détermination devant ses objectifs.
À la différence du premier acte qui compte trois palabres-poèmes, l’acte 2 en compte six, et apparaît comme la suite logique du premier acte. Il porte sur la nécessité d’être persévérant dans la vie. C’est l’acte le plus long, car il va de la page 93 à 181. Dans cette optique, Jean-Blaise Bilombo Samba met en exergue les figures de proue du chant poétique qui, autrefois, avaient clamé haut et fort la quête de la liberté, de la paix et du mieux vivre. Pour s’en convaincre, il suffit de revisiter la belle poésie chantée de Franklin Boukaka, les textes de Sylvain Bemba et l’inoubliable force créatrice de Sony Labou Tansi.
L’Acte 3 va de la page 195 à la page 223 et comprend, comme dans l’acte 1, trois palabres-poèmes. Cette partie apparaît comme la somme des données qui permettent à l’homme d’accéder à la délivrance. La belle citation du grand poète arabe Abdellatif Laâbi qui ouvre cette partie du recueil donne tout le sens à la quête de Bilombo Samba. «Nous avons mission, écrit-il, d’ouvrir la palabre qui refuse de tituber sous le poids des matières inflammables…». Un peu plus loin, il ajoute: «La démocratie n’est pas cette déchéance de repère qui nous vole le sens du futur.» (P.204).
En faisant appel aux grands humanistes comme Martin Luther King, Abraham Lincoln, Angela Davis, Jean-Blaise Bilombo Samba nous fait comprendre qu’il faut bâtir d’autres légendes (…) du nouvel ordre, de bâtir et d’aimer. Nous avons mission de réveiller en nous cet homme qui a quelque chose à donner, cette femme qui a une émotion à partager, cet enfant perdu à la croisée des sanglots. Heureux ceux qui refusent la vie sans la paix…
En résumé, il faut avouer que «L’Homme adépendant» est un recueil très riche d’enseignements. Il doit être mis en circulation dans toutes les mains, pour permettre aux humains doués de bon sens de découvrir la détermination d’un homme épris de liberté, de justice et de paix.

Alima MADINA
(Ecrivaine)

Jean-Blaise Bilombo Samba – «L’Homme adépendant», palabres-poèmes – Paris, L’Harmattan, Coll. Poètes des 5 continents – 2000, 245 pages.