C’est le 4 septembre 1952 que La Semaine Africaine fut fondée par le Père Jean Legall, prêtre missionnaire spiritain. Journal jadis de l’Afrique centrale diffusé au Gabon, en Centrafrique et au Tchad, le journal a accompagné les mutations de la sous-région, voyant poindre les indépendances, la survenue des premiers coups d’Etat et l’affirmation de valeurs parfois antagonistes de l’idée de Dieu ou, à tout le moins, de religion. Depuis lors, ce journal est régulièrement paru, accompagnant les lecteurs d’Afrique Centrale dans leurs joies et leurs déboires.
Nous avons voulu marquer cet événement par un numéro 3998 qui lance un regard hétéroclite sur le passé. Avec une interview de Bernard Mackiza, le premier laïc congolais rédacteur en chef de ce journal.
A date exceptionnelle, mesure exceptionnelle: l’éditorial de ce numéro est signé de l’Abbé Brice Ibombo, secrétaire général de la Conférence épiscopale du Congo, signe de notre ancrage dans les valeurs de la foi et le magistère de l’Eglise.
Notre jubilé se célébrera par des activités particulières dans les prochains jours. Nous vous souhaitons une bonne lecture et vous rappelons qu’un journal ne vit que par ses lecteurs.

Albert S. MIANZOUKOUTA
Directeur de publication

* Bernard Mackiza, quel regard portez-vous sur la presse d’après les indépendances au Congo?
**Je ne partage pas totalement le point de vue du président du Conseil supérieur de la liberté de communication déclarant aux Assises de la presse, le 25 octobre 2018. «Je voulais, par un réquisitoire crier ma déception et ma honte devant les incapacités multiformes d’une presse naine qui se refuse de croitre. D’une presse pourtant libre mais qui sape la liberté, et de la presse et d’expression, et de ses lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, bref la liberté de tous les consommateurs des programmes audiovisuels, je voulais à cette grand-messe, débusquer pour dévoiler le diable qui hante malicieusement ce beau et noble métier de journaliste et exorciser le mal pour redorer son blason noirci et lui restaurer ces palmes d’honneur pour véritablement installer son pouvoir (…) Voici cernée la problématique déroutante de l’environnement sociologique journalistique qui ruine la richesse culturelle, assèche la pensée pensante, appauvrit le verbe, assassine l’écriture, s’aveugle devant la modernité, viole l’humain sacré; dépeint la vérité, cultive le mal par le mensonge, la falsification des résultats et sème la haine, la division, encourage le repli identitaire qui entraîne souvent la violence à travers un journalisme sans visage humain, irresponsable, pratiqué à contre pratique du vrai journalisme professionnel, fait des vérités, dans la vérité, pour la vérité». Ce réquisitoire a été approuvé, le même jour, à la même séance, par le ministre de l’Intérieur. Mais, je pense que cette déclaration méritait d’être examinée par les professionnels de la communication du Congo conscients de l’avenir du journalisme au Congo, le rôle des médias étant de forger la citoyenneté, c’est-à-dire: instaurer une prise de conscience sur les questions des droits de l’homme et renforcer la confiance de la population envers les médias; améliorer les conditions permettant l’indépendance des journalistes et obtenir un niveau de qualité élevé au sein des médias; respecter la personnalité juridique de chaque citoyen et respecter la liberté de chacun. Je souhaite que les professionnels congolais de la communication relisent sérieusement le point de vue du président du Conseil supérieur de la communication, et qu’ils disent ce qu’ils en pensent, parce que le journaliste n’est digne de l’être que lorsqu’il écrit en conscience. Pour être un bon journaliste, il faut écouter ce que l’on dit de ses articles.
*Il n’y a toujours pas d’école de journalisme au Congo; quelle incidence cela a-t-il sur l’exercice du métier ?
**La réponse à cette question, je l’emprunte au ministre de l’Intérieur qui, d’accord avec M. Phillipe Mvouo, notait: «La pratique du journalisme au Congo n’est pas professionnelle. Le dire ainsi c’est peu le dire. Pour vous en convaincre, il suffit simplement de jeter un coup d’œil dans nos journaux et vous vous rendez compte que la recherche du sensationnel prime sur la recherche de l’information. La diffamation, la calomnie et les rumeurs constituent, malheureusement, l’essentiel des articles de la presse congolaise». Ce constat a été fait il y a à peine deux ans. Nous ne pensons pas qu’on ait déjà débusqué le diable qui hante malicieusement le métier de journaliste au Congo.
Pour nous, le diable, ce sont les pouvoirs publics, les enseignants du journalisme, les professionnels de l’information et les consommateurs de l’information. Ce que j’appelle la quadruple incompréhension. En un mot, il manque une politique de communication au Congo, résultat de notre acculturation mal assimilée.
*Que faire?
**Les journaux congolais sont économiquement fragiles. Aujourd’hui, ils sont près d’une dizaine à paraître assez régulièrement, alors qu’ils étaient une cinquantaine entre 1989 et 1992. Le rôle déterminant de la presse dans l’affermissement et le renforcement de la démocratie milite en faveur des mesures de la part de l’Etat pour le développement, l’émergence des médias indépendants, l’amélioration du niveau professionnel des journalistes, la contribution à la viabilité technique et financière des médias. Ces mesures pourraient être, entre autres: dotation de toute la presse d’une convention collective. En attendant, faire appliquer, la convention du secteur privé; l’institution d’un fonds d’aide au développement de la presse congolaise et son expansion à l’étranger; l’exonération des droits et taxes sur les consommables indispensables à la fabrication des journaux et revues et création d’une centrale d’achat de ces consommables, notamment.
Les journaux devraient bénéficier de ces mesures, les publications ayant un caractère d’intérêt général d’information, d’éducation et de récréation du public. De telles mesures appellent la mise en place d’une commission paritaire des publications et agences de presse. Le contrôle en incomberait à la commission de vérification des organes de presse. Mais le plus urgent et le plus important est la mise en place d’une maison de la presse pour la formation permanente des journalistes.

Propos recueillis par
Aybienevie N’KOUKA-KOUDISSA et Albert S.
MIANZOUKOUTA