Les Premiers Jeux africains ont atteint cinquante-cinq ans d’âge il y a un peu plus d’une semaine. En effet, ces jeux inauguraux eurent lieu du 17 au 25 juillet 1965 à Brazzaville. Ce fut dans un contexte très politique, avant, pendant et après leur déroulement dans la capitale congolaise. La palabre fut longue, orageuse, en conseil des ministres, pour faire accepter au Président Alphonse Massamba-Débat le projet de construction d’un complexe sportif moderne à Brazzaville afin d’y accueillir les 1er Jeux africains.

Contrairement à son prédécesseur l’abbé Fulbert Youlou, il semblait n’en saisir ni l’opportunité, ni la nécessité. Des priorités nationales se disputaient sa tête. Il avait peut-être raison. On lui en expliqua patiemment les avantages. Il s’accorda, pour finir, un délai de réflexion.
Et le 26 février 1964, le Président procéda officiellement à la pose de la première pierre de ce qu’allait devenir un an plus tard «Stade Omnisports» d’abord, Stade de la Révolution ensuite, vingt-quatre heures après la fin des Jeux en juillet 1965. Il l’avait inauguré le 20 juin 1965 par la rencontre internationale amicale Congo-Guinée, à l’époque deux pays «révolutionnaires».
Un stade, oui, mais, pour le régime révolutionnaire de Brazzaville, il fallait le construire sans l’aide de la France «impérialiste». Pour y parvenir, il obligea les travailleurs à y mettre une partie de leur salaire. Ce fut le prix à payer pour s’offrir ce stade moderne. Un pari presque gagné, puisque sur plus de 1 milliards de francs CFA, coût estimé des travaux, la subvention de 100 millions de francs CFA de l’Etat français alloué au Gouvernement congolais fut comme une goutte d’eau dans la mer.
Bien avant, le projet d’organiser ces Premiers Jeux africains se heurta aussi à un double barrage dressé par feu Avery Brundage et le marquis d’Exeter, respectivement président du Comité international olympique (CIO) et de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Tous deux avaient exigé l’invitation de l’Afrique du Sud à ces Jeux fixés depuis 1962 à Brazzaville. Faute de quoi, ils menaçaient de jeter l’interdiction sur la manifestation sportive. Or pour l’ensemble des pays du continent, l’exclusion de l’Afrique du Sud n’était pas négociable, en raison de sa politique d’apartheid.
Mais, sous la pression des dirigeants africains, Brundage allait plier. Il accepta finalement d’accorder le patronage du CIO aux Jeux, à condition qu’il n’y ait aucune «immixtion politique». D’Exeter céda également le 23 février 1965, à Londres : Pretoria ne serait pas invité et l’IAAF n’excommunierait pas Brazzaville.
Cet écueil balayé, il fallut faire face à un autre de taille, mais en interne. Un jour, tout Brazzaville apprit que l’un des pylônes de la ligne très haute tension (THT) qui va du barrage du Djoué au centre-ville, avait été plastiqué par un commando venu de Kinshasa. En raison donc du climat politique tendu qui régnait entre Léopoldville (actuellement Kinshasa) et Brazzaville, le Gouvernement congolais crut bon de signifier au Comité d’organisation des Jeux dont le secrétaire général était Jean-Claude Ganga, que les athlètes du pays voisin ne participeraient pas aux Jeux. Alors que le pays devait profiter de l’opportunité offerte par ces Jeux pour renouer ses relations diplomatiques avec la plupart de ses voisins, des relations rompues depuis le mouvement populaire d’août 1963 et le choix du «socialisme scientifique». Il fallut à Ganga repartir en croisade au nom de l’olympisme, contre les tenants de la ligne dure au sein du bureau politique du Mouvement national de la révolution (MNR), le parti unique de l’époque. Tout finit par se calmer et le ciel entre les deux capitales se dégagea. Les flots du fleuve Congo se calmèrent et le bateau transportant les athlètes du Congo-Kinshasa put, en toute tranquillité, traverser le Pool pour gagner Brazza-la-Verte.
Ces Jeux africains, organisés par les Africains pour les Africains et avec des moyens africains, devaient réussir ainsi qu’ils se l’étaient juré. Le 18 juillet, toute l’Afrique, quelque trente-six pays anglophones comme francophones, et le monde entier purent entendre le cri de triomphe qui s’élevait, intense, enthousiaste et narguant les saboteurs de tous bords, du Stade Omnisports de Brazzaville. Africa Oyé! Vive l’Afrique! Le sport avait gagné.

Jean ZENGABIO