Les équipes congolaises sont, comme sous d’autres cieux, dévoreuses d’entraîneurs. Ce n’est pas un fait nouveau qu’on découvre, il est vieux depuis que les colons ont introduit le jeu du ballon rond au Congo. Chaque saison, les techniciens ne sont pas certains de conserver leur poste, tant ils subissent l’influence des résultats. Sur ce point, la spéculation est devenue la règle. Que le club gagne des matches, il n’est plus rare que ces victoires soient mises sur le compte des seuls efforts des joueurs ou du «masseur’’ faiseur de miracle. Qu’il y ait des défaites, c’est l’entraîneur qui est mauvais!
Le cas le plus récent est celui intervenu au terme de la quatorzième journée à la tête du CARA de Brazzaville, actuellement troisième au classement du championnat national d’élite Ligue 1. Eloi Mankou et ses adjoints ont été limogés et remplacés par Cédrick Nanitélamio, qui était en chômage depuis sa démission d’Etoile du Congo un peu à la grande surprise des férus du football, et Arnaud Ngankia (préparateur des gardiens de but).
Le départ d’Eloi Mankou était prévisible. Parce qu’on lui reprochait les résultats en dents de scie de l’équipe. Cela le condamnait donc, à brève ou longue échéance. Et il est parti sur la pointe des pieds. Ses accusateurs se frottent-ils toujours les mains après le match nul concédé face à Patronage Sainte-Anne? Ainsi donc, Eloi Mankou connaît une fois de plus la solitude, sa traversée du désert…
Mais le cas Mankou n’est pas unique. Chaque saison on assiste à un ballet monocorde. Des entraîneurs s’en vont avant même la fin d’une saison, souvent remerciés sans manière par ceux-là même qui les adulaient, d’autres entrent. Le mouvement est perceptible dans les équipes les plus en vue.
On n’a pas été surpris, par exemple, du limogeage d’Andy Futila (RDC) des Diables-Noirs qui l’ont recruté en début de saison pour donner du sang neuf à leur encadrement. Mais au bout de huit journées seulement du championnat, il a été semble-t-il celui qui «empêchait l’équipe de tourner à merveille». Il a fait ses valises. Cependant, avec le nouveau technicien, Dan Nsondé, après un début prometteur et une place de troisième à la fin de la phase aller, l’équipe fait à nouveau du surplace.
L’Etoile du Congo vit une aventure semblable. Après avoir remporté la Coupe du Congo au terme d’une belle saison 2018-2019, l’équipe a perdu son identité au début du championnat 2019-2020. Un dirigeant serait monté sur ses «grands chevaux», demandant des comptes au coach Cédrick Nanitélamio. Ce dernier, ulcéré, a fini par jeter l’éponge avec élégance. On lui a trouvé un remplaçant. Il n’empêche: l’équipe est toujours au creux de la vague.
Au début du championnat, Patronage Sainte-Anne faisait appel à Jacques Nsana, un ancien joueur du club dans les années 80-90. Mais après quelques matches seulement, le comité directeur a jugé qu’il fallait un entraîneur plus expérimenté. Il l’a trouvé en Gildas Ngo ‘’Général’’, un ancien international au chômage après son départ de La Mancha.
La Jeunesse sportive de Talangaï, réputée pour faire défiler les entraîneurs (2 ou 3, voire 4 changements au cours de chaque saison) n’a pas dérogé à la règle. Là-bas, on ne sait pas qui doit, et quand, demander des comptes à l’entraîneur. Après quelques succès, ‘’Le Français’’ a fait long feu sur le banc de touche. Un résultat négatif face au Patronage Sainte-Anne lors de la quinzième journée lui a valu d’être viré sans autre forme de procès. Son remplaçant a vu rouge la journée suivante, expulsé par l’arbitre pour mauvais comportement. Fera-t-il de vieux jours à la tête du nouveau staff technique?
La crise d’entraîneurs n’a pas épargné l’AS Otohô. Malgré le fait qu’il a donné à l’équipe son second titre de champion national, le Malien Aliou Badra avait été éloigné du banc de touche en fin de saison dernière au profit de Ghislain Tchiamas démissionnaire dans Diables-Noirs. L’arrivée de ce dernier n’est pas allé de pair avec l’évolution de l’équipe, encore moins avec les résultats. Le comité directeur a été contraint de faire appel à Elie Ngoya comme directeur technique. Ce n’est pas tout: il a refait appel à Badra, reléguant ainsi Tchiamas au second rang. Une récompense amère pour ce dernier. Il semble avoir eu raison. Aujourd’hui, l’AS Otohô jouerait mieux et caracole en tête du championnat. Mais tout de même, Otohô compte un quatrième entraîneur ayant roulé sa bosse dans l’AC Léopards de l’épopée victorieuse en Coupe de la CAF, le nommé Hugues Ondima. Quatre grands techniciens dans une même équipe, c’est une performance rare dans les annales du football congolais, alors que des clubs en manquent cruellement.
La situation de l’entraîneur congolais, sans être réellement dramatique, demeure cependant préoccupante, même dans le reste des clubs où le mouvement est si discret qu’on s’aperçoit à peine des changements qui s’y opèrent.
Mais il ne suffit pas que la tête de l’entraîneur tombe pour qu’une équipe retrouve toute sa crédibilité. Il faut une prise de conscience à tous les niveaux. Il faut créer, pour ce faire, les conditions qui redonnent le goût du travail à l’entraîneur et aux joueurs. Car le plus grand entraîneur de la planète ne réussira rien dans la pagaille, dans les tiraillements de tous les jours, avec des joueurs confrontés à une situation sociale précaire. Son action ne portera que s’il évolue dans un milieu sain, bien organisé, discipliné, dégagé des soucis financiers et où l’intérêt général prime.

Guy-Saturnin MAHOUNGOU