Le confrère bien connu Arsène Séverin Ngouela se porte candidat à la présidence de la Haute Autorité de lutte contre la corruption. Le journaliste estime que son apport à une institution dont les résultats sur le terrain sont loin d’avoir convaincu jusqu’ici, injectera ce «plus» qui manque Congo lorsque les responsables politiques parlent de vaincre un phénomène aussi persistant que la corruption. Arsène Séverin, comme nous nous sommes habitués à l’appeler, est directeur général de Vox TV, correspondant de La Voix de l’Amérique et de la Deutsch Welle. Entretien.

*En quoi la présidence d’une institution comme celle-ci peut-elle changer les choses, si assumée par un journaliste?

** La loi n°3-2019 qui crée la Haute autorité de lutte contre la corruption au Congo définit et donne de réels pouvoirs au président et à toute l’institution, en lui conférant notamment son caractère indépendant dans la prise de l’initiative et la conduite des enquêtes. Selon cette loi, le président de la Haute autorité de lutte contre la corruption est désigné par le Chef de l’Etat pour un mandat de 5 ans non renouvelable. Nommé en conseil des ministres, c’est lui qui assure la coordination de toutes les activités menées par cette institution. Ce qui montre bien le caractère désintéressé et engagé que devrait avoir la personnalité qui conduit cette institution. Que peut changer un journaliste ? Beaucoup de choses ! Je connais cette question, pour avoir mené des investigations même les plus pertinentes, parfois dans le cadre des enquêtes transnationales. Les journalistes ont le flirt, ils connaissent des choses, mais ne sont pas toujours de grosses gueules, car il faut de la responsabilité et de l’équilibre dans le traitement de certaines informations. Je joue sur l’indépendance de ma personnalité, la liberté de mon esprit qui n’a ni état d’âme, ni dette morale envers qui que ce soit dans ce pays. J’estime que le Congo m’a beaucoup donné, puisque j’ai fait toutes mes études principales ici, et qu’on ne devrait voir s’effondrer toute une société, empêtrée dans la corruption et les antivaleurs, et sans rien faire. Je suis capable de faire quelque chose, et j’ai déposé ma candidature. Et puis, c’est un travail collectif, il y a 35 postes ouverts à candidatures.

*Pourquoi la corruption est-elle un phénomène si résistant au Congo?
**La corruption est si résistante au Congo, à mon avis et sur la base de mes propres investigations, pour trois raisons. D’abord, il n’y a aucune véritable sensibilisation et éducation sur ce fléau qui de plus en plus est devenue banale. Tout le monde peut corrompre tout le monde dans ce pays. De la morgue à l’université, en passant par l’administration publique et les régies financières, la corruption est si présente. Ensuite, il y a l’impunité. L’Etat est très faible face à ce phénomène. De nombreux dépositaires de l’autorité de l’Etat qui devraient frapper ne le peuvent pas parce qu’ils sont eux-mêmes corrompus jusqu’au cou et pérennisent la corruption à travers leurs collaborateurs et leurs familles. Enfin, la justice a totalement tourné le dos à la corruption: aucun procès spectaculaire sur ce phénomène depuis que le Chef de l’Etat en a fait un des principaux contenus de ses messages depuis 2009. Les délinquants en col blanc nous narguent tous avec les biens volés à l’Etat.

*Les journalistes se bousculent aux portes des institutions: n’est-ce pas l’extinction programmée de la conscience critique d’une Nation?
**Certainement ! Mais, pour ma part, ce n’est pas un effet de mode. Je suis activiste des causes nobles, de la justice et de l’équité. Si je me suis engagé dans cette lutte, ce n’est pas pour chercher du travail rémunéré comme je l’ai d’ailleurs constaté en déposant mon dossier. Tous ceux qui cherchent l’emploi se ruent là-bas, sans la moindre conviction. Je me sens en mission, mais bien sûr, je garde mon sens de la critique. C’est comme dans la pratique du journalisme, je suis toujours dans la collecte d’informations et dans la communication au public.

*La commission de lutte contre la corruption n’est-elle pas un organe de plus, un faire-valoir?
**Les institutions valent ce que valent leurs animateurs. La Haute Autorité de lutte contre la corruption, exigence n°29 du FMI, est importante pour notre pays. Si elle joue bien son rôle, elle pourrait freiner la boulimie des gestionnaires, faire peur à de mangeurs d’argent public, et améliorer la perception des citoyens de la corruption. Évidemment, si les gens n’y vont que pour se faire des salaires, ce serait forcément une institution de trop. Ce que nous ne voulons pas, c’est pourquoi je me suis engagé publiquement dans cette lutte, et au sommet de l’institution pour m’assurer que mes idées transparaîtraient à chaque État.

Propos recueillis par
Albert S. MIANZOUKOUTA