Il y a comme un air d’ensemble, une poussée multiforme vers la confusion aujourd’hui. Rien n’est plus dans sa nature innée et tout entretient un effacement des bornes qui laisse moins nettes les barrières des identités. Nous vivons dans une culture où le profane et le sacré sont devenus interchangeables ; où les identités religieuses sont présentées comme pouvant se passer les unes pour les autres et les dogmes et doctrines, mots honnis désormais, sont devenus des boulets.
Il y a comme une porosité culturelle installée désormais. Les groupes de prière spontanés qui naissent dans les quartiers se donnent comme mission de guérir les malades. Les exorcistes se multiplient tellement qu’on ne sait plus qui est qui, ni même s’ils sont appelés à voir dans chaque malade un envoûté forcément. Il n’est plus rare d’entendre un chirurgien venant de rater son opération, dire que le patient est mort à cause de problèmes mystiques en famille. Qu’il fallait procéder à des rituels de purification avant de venir à l’hôpital…
C’est le monde à l’envers: l’hôpital qui renvoie à l’obscurantisme et qui l’encourage. En vérité, c’est une tendance générale à la confusion de tout à laquelle on assiste. Confusion culturelle, confusion cultuelle aussi. Nos églises et nos temples prient désormais aux rythmes des musiques et des danses de bars. On ne sait plus quel est le lieu de divertissement et quel est le lieu de ressourcement et de recueillement. Au nom d’une inculturation qui ne sait plus se dire et se reconnaître, on nous explique qu’il faut suivre la modernité de son peuple.
Et, du coup, on ne s’étonne plus que le plus vieux parti politique du Congo, le PCT, mène ses meetings et ses congrès aux airs du MPR, parti du défunt Mobutu dans l’ex-Zaïre. Le marxisme des tropiques poussé par le capitalisme des façades ! Des campagnes catholiques d’évangélisation se mènent aux sons de musicalités œuvres de pasteurs d’églises de réveil non-membres du Conseil œcuménique des Eglises. Des veillées mortuaires, qui ne frisent déjà plus la tristesse, sont des lieux d’exhibitions joyeuses. De libations.
Les choses ne touchent pas que le spirituel. Même les organisations internationales d’aide et de développement ne se limitent plus à nous demander si l’on est homme ou femme, laissant entendre qu’une troisième, voire une quatrième possibilité peuvent être «offertes», anticipées. Que les apparences et la réalité de toujours ne sont qu’éphémères, car aujourd’hui on peut bien naître homme et mourir femme ou l’inverse.
Les concepts et les mots; les interdits, le licite et l’illicite ; l’acceptable et l’intolérable se mêlent selon notre shaker personnel pour produire de la confusion à l’avenant. Et les politiques s’y ajoutent avec leur vocabulaire juste destiné à être dit, pas traduit en actes. Alors se crée et se conforte un monde où tout est possible, même l’improbable, où tout est relatif. La corruption et le détournement des fonds publics ne sont plus que des «antivaleurs» à décrier, pas des comportements méritant sanction. Un autre mot dont on a perdu le sens premier depuis longtemps. Tout comme la loi, qui ne s’applique plus que contre quelques-uns, puisque pour tous elle s’interprète.

Albert S. MIANZOUKOUTA