Madame Emilienne Raoul a, 14 ans durant, siégé au Gouvernement. Et dans un livre entretien, ‘’Jalons d’une politique sociale’’, publié chez L’Harmattan (2020), elle fait le bilan de son travail et esquisse une vision, voire un programme. Le questionnaire est conduit par un professeur d’économie, qui fût par ailleurs Directeur de l’Agence française de développement (AFD), au Congo Stéphane Madaule ; qui l’a convaincue de livrer sa riche expérience à la tête d’un département, dont l’intitulé kilométrique, Ministère des affaires sociales, de la solidarité, de l’action humanitaire, des mutilés de guerre et de la famille avait de quoi donner le tournis !

Dans le présent ouvrage, Mme Raoul privilégie l’action sociale, parce que fort de deux atouts découlant de sa formation: Assistante sociale, enseignant chercheur à l’université Marien Ngouabi. Elle relève ses succès, ses frustrations et ses échecs. Au demeurant, elle circonscrit le domaine social et pose les premiers jalons, éclairant la voie des décideurs de la lutte contre la pauvreté et la précarité et la protection sociale. Elle retrace l’histoire des affaires sociales, depuis l’époque coloniale jusqu’au moment elle en a pris les rênes.

Sa famille et son éducation
Cette partie du livre traite de sa biographie et des ces origines ; elle éclaire son action. La personnalité de ses parents l’a marinée dans la rigueur, la modestie et la charité. Son père Pierre Matingou vient d’Hamon (Madzia). Il est transporteur, exploitant forestier, menuisier. Il a essaimé des boutiques dans les gares du CFCO et gros villages, parcourant la Bouenza et le Pool. Il construit des ponts et ouvre des routes pour accéder aux producteurs de manioc, fruits, bananes, noix de palme, tabac qu’il vend dans les grands marchés comme ceux de Brazzaville. Il débite le bois et sa menuiserie moderne le transforme en biens de toutes sortes. Des ouvriers par dizaines y travaillent, tout comme des apprentis venant de tous les horizons. Les noix de palme sont transformées en huile qui elle-même est transformée en partie en savon. Le tabac est livré à l’usine SEITA qui fabrique des cigarettes. Pierre Matingou est à la fois industrieux et industriel. L’administration coloniale lui passe des commandes de mobiliers dispatchés dans les différents centres administratifs où des fonctionnaires coloniaux parfois travaillent dans l’inconfort. Pierre Matingou est doublé de la qualité d’opérateur culturel. Il a, en effet, ouvert un cinéma à Poto-Poto (Star) et aussi un bar-dancing ‘’Congo-Zoba’’, faisant la fierté de ses compatriotes congolais. Ils ne sont pas légion des entrepreneurs de la trempe de Pierre Matingou sous cette période coloniale à Brazzaville. On l’appelle Monsieur comme on le fait quand on salue un Européen.

La rencontre

C’est le souci de décorer sa nouvelle maison de Poto-Poto qui le conduit à prendre langue avec une célèbre couturière de la place Mademoiselle Joséphine DENNET, une métisse arrivée de Pointe-Noire, fort sollicitée par des européennes qu’elle habille, tout comme les métisses et les dames des noirs évolués.
Pierre Matingou la charge de rendre sa maison belle. Elle doit installer des rideaux, habiller les meubles, bref rendre cet espace habitable et agréable à vivre. Cette transaction d’abord commerciale finit par un contrat de mariage et Joséphine devient Mme Matingou.

Joséphine est née d’un père britannique, Richard Edward Dennet.

Quand ce dernier voulut prendre épouse, on lui conseilla de chercher du côté du Cabinda, dans un village réputé héberger les plus belles femmes métisses. C’est ainsi qu’il se maria avec une belle et jeune métisse cabindaise. Richard Edward est négociant, travaillant dans une firme pour le compte de Halton Cookson. Il est installé à Loango avant de prendre à pied à Pointe-Noire après la construction du port.
Cet homme eut beaucoup d’enfants. L’un de ses fils, André entreprit des études d’agronomie à Londres et fut embauché à la sucrerie SIAN (Jacob). L’une de ses filles fit son entrée en religion chez les Sœurs de Cluny de Landana. Joséphine fréquenta aussi une institution catholique à Landana, chargée de former les filles et les préparer à devenir des épouses modernes.
Métrisant les arts ménagers, ces filles reçoivent également une bonne instruction générale. Richard Edward DENNET eut une autre corde à son arc, il fut ethnologue et consacra ses recherches sur les populations Vili que l’on peut consulter en ligne de nos jours.
Emilienne est née à Poto-Poto de Pierre et de Joséphine Matingou. Elle séjourne à Hamon pendant les vacances scolaires. Sa mère l’a inscrite à l’école de la Plaine. Y sont inscrits les enfants européens, les métis et les enfants des évolués africains. Emilienne dans son texte souligne qu’elle ne s’y sentit pas à l’aise. Voilà que lors des vacances à Hamon, les Sœurs religieuses de Cluny de passage la découvre et lui font la proposition de l’accueillir dans leur établissement : l’école Javouhey. Elle est surprise et enthousiaste, car l’école Javouhey est une institution de prestige en Afrique francophone. Mme Joséphine boude cette proposition. Initialement orphelinat destinée à abriter des filles métisses nées du commerce des européens avec des congolaises ou des africaines, l’établissement qui accueille Emilienne comme pensionnaire, reçoit plus de filles venant des autres territoires et de l’hinterland.
Les études mènent jusqu’en classe de troisième et au BEPC. On y forge aussi des chrétiennes, imbriquées dans les mouvements chrétiens : guidisme, scoutisme, cœurs et âmes vaillantes. Emilienne s’y adonne complètement, fait ses promesses et monte en grade. Cela forme le caractère et l’esprit d’initiative. Auprès de sa mère à la maison, elle est initiée à moult activités et par ailleurs elle coud ses propres robes et jupes. A Hamon, à force de voir travailler les ouvriers, elle apprend à faire des choses simples, à preuve elle se construit un petit siège en bois.
Un briefing organisé à Javouhey pour aider les filles à faire le choix de leur future profession séduit Emilienne qui opte pour la formation des assistantes sociales. Et la Fondation de l’Enseignement Supérieur d’Afrique Centrale offre des possibilités d’étudier. Au demeurant, le Centre d’Enseignement Supérieur de Brazzaville dispense des enseignements de premier cycle universitaire (école de droit, école de lettres et école des sciences). En sus, le CESB gère une structure de formation médicosociale: assistance sociale, sage-femme et infirmier d’état. Les diplômes de cette filière ont la même équivalence que les diplômes français. Emilienne en sort assistante sociale en 1966.

Emilienne Raoul, transbahutée çà et là

Elle est affectée au service scolaire à Moukoudzi Ngouaka. On y fait le suivi scolaire des enfants au faible rendement. De surcroit, on mesure la taille des enfants, le poids et les enfants sont soumis à des contrôles médicaux.
A la fin de l’année, Emilienne Raoul dresse un rapport à l’intention de la hiérarchie, pour souligner l’inadéquation entre sa formation et ses occupations. En conséquence, elle reçoit une mutation au tribunal de grande instance de Brazzaville spécialement auprès des juges des enfants. On se préoccupe des procédures de divorce et plus spécifiquement du sort des enfants. Ici les activités d’Emilienne Raoul s’étendent aussi à la maison d’arrêt et elle s’occupe des conditions d’enfermement des femmes enceintes et de celles qui allaitent. Quand la directrice des affaires sociales rentre de Cuba avec des idées neuves, elle ouvre un cercle d’enfants à Makélékélé, dont elle confie la direction à Mme Raoul. Il y a une pouponnière, une garderie et une école maternelle. Le succès de ce centre logé dans un vieux bâtiment réhabilité est grand et l’on songe à construire un espace plus grand. Alors fut construit le centre de Moungali 3, quartier résidentiel. C’est un centre dit modèle qu’on montre aux étrangers visitant le Congo. On y a affecté des auxiliaires puéricultrices et l’exigence de former ces personnels est une urgence en psychologie, en comptabilité etc. Peu après Emilienne quitte ce centre pour encadrer comme monitrice les assistantes sociales de Joseph Loukabou. En fait, elle tourne en rond transbahutée çà et là.

Les affaires sociales, un fourre-tout
Les affaires sociales au Congo sont héritées des pratiques de la colonisation et les archives le renseignent bien. Ce service créé près du Haut-commissaire de l’Afrique équatoriale française en 1946 est appelé à gérer les problèmes de maladies et rapatriement des fonctionnaires coloniaux. Plus tard, il s’oriente vers d’autres centres d’intérêts comme la santé, celle des métis, l’enseignement ménager pour les femmes africaines et le jardin d’enfants pour les européens. On y ajoute l’installation des bibliothèques et l’animation du cinéma éducatif. On offre aux affaires sociales la gestion des maladies essentiellement transmissibles en sus de l’alcoolisme tout comme de la protection maternelle et enfantine.

L’administration congolaise à l’indépendance confie ces charges aux Eglises.

Jusqu’en 1970, on ne fait nullement allusion à la pauvreté non plus à la précarité. Les enquêtes menées par les travailleurs sociaux débouchent sur les demandes d’aide fournie par le Fonds de secours qui cessa de fonctionner à la prise de fonction d’Emilienne RAOUL en 2002.
A la fin des années 1980, l’école des assistants sociaux cesse de fonctionner, faisant place à une filière de formation à l’Ecole Nationale de Magistrature (ENAM) qui se mit à produire des agents de développement social. N’importe quel fonctionnaire peu importe son profil pouvait devenir agent de développement social. Et le programme d’ajustement structurel ayant mis fin au recrutement dans la fonction publique contribua à éliminer cette filière à l’ENAM.

(A suivre)