Les éditions PAARI ont eu la bonne idée de procéder en 2023 à une réédition de l’ouvrage du colonel Baratier «Au Congo, Souvenirs de la Mission Marchand, De Loango à Brazzaville», (Arthème Fayard & Cie Editeurs, 1914), réédition enrichie du commentaire critique de Charles Thomas Kounkou: «L’invention du Congo Français».
Une figure retient spontanément l’attention du lecteur – sans mésestimer le rôle des acteurs de la pénétration coloniale qu’étaient Marchand, Albert Dolisie, Mangin, etc.: Pierre Savorgnan de Brazza.

L’explorateur français d’origine italienne restera connu dans l’histoire du Congo comme le fondateur de la première station française de Mfoa (Brazzaville), qui vit le jour en octobre 1880 et dont il fut le chef de poste jusqu’en 1882, dirigeant durant la même période la station de Franceville. Il fut de même l’initiateur de traités conclus, en 1883, avec les chefs vilis, qui permettront à la France d’assurer sa présence sur le littoral atlantique du Congo. Mais plus encore, ce fut un agent visionnaire de l’expansion colonialiste de la France au Congo, qui comprit assez vite que la mise en valeur du territoire colonial dépendait pour une part déterminante de la construction d’une voie de communication reliant la côte atlantique au Stanley-Pool. Voie de communication qui, comme on le sait, verra le jour, bien après sa mort en septembre 1905, avec la construction du Congo-Océan entre 1923 et 1934.
L’auteur de l’ouvrage, quant à lui, le colonel Baratier (capitaine à l’époque), débarque à Loango en 1896. Il est membre de la mission Marchand, dénommée aussi mission Nil-Congo, parce qu’elle se donne pour objectif stratégique de consolider la présence de la France dans les régions situées entre le Congo et le Nil – le Congo devant servir de base arrière de l’expansion de la France vers le Soudan.
Si Savorgnan de Brazza n’était pas un pacifiste à proprement parler, mais un homme porté d’instinct sur les pourparlers avec les chefs autochtones, Baratier de son côté, a laissé l’image d’un homme à poigne, habité par une propension à la violence, n’hésitant pas à recourir aux méthodes les plus brutales pour la réussite de la mission qui lui avait été confiée par l’administration coloniale: garantir la libre circulation des caravanes de marchandises sur la route de Loango à Mfoa, et briser toute rébellion à l’instar de celle qui sévissait en pays soundi dans la région de Balimoéké, autour de Mabiala Ma Nganga et de son neveu Mabiala N’Kinké. Une mission qui s’avérait d’autant plus importante pour l’Etat colonial, que de celle-ci dépendait la réussite l’implantation de la France au Soudan.
Mabiala Ma Nganga est la bête noire de Marchand, Baratier et de leurs congénères. Baratier le «présente comme le plus célèbre des brigands du Congo».
Les uns et les autres l’accusent de se livrer avec son neveu Mabiala N’Kinké, à des actions de «brigandage» contre les caravanes de marchandises européennes et à des assassinats à l’endroit des agents de l’administration coloniale.
Quand bien même ces agissements sporadiques ainsi qu’on peut l’imaginer, ne s’inscrivaient pas dans une stratégie de lutte clairement pensée, s’attaquer à une caravane visait deux objectifs. D’une part, s’emparer de produits (armes à feu, boites alimentaires, literies, étoffes, etc.), qui possédaient une valeur pratique et marchande indéniable aux yeux des rebelles bassoundis, de l’autre, faire savoir aux agents de l’administration coloniale qu’ils n’étaient pas forcement les bienvenus en terre congolaise.
Marchand et Baratier prirent l’option d’en finir avec les chefs rebelles soundis. Tout donc fut mis en œuvre pour mettre un terme à leur «brigandage»: Mabiala N’Kinké sera abattu au cours d’une fusillade par Baratier et son groupe de tirailleurs, quant à Mabiala Ma Nganga, il mourra asphyxié, suite à l’enfumage de la grotte où il s’était réfugié. Par le même Baratier.
«L’idéal colonial demeure toujours imbibé de sang», nous rappelle à bon escient Ch. Kounkou. Ce n’est pas Baratier qui contredira l’auteur de ce mot, loin de là, puisqu’il assume sans fard le recours à la force: «Cette conception de s’emparer des âmes sans avoir recours à la force est bien faite pour séduire un peuple ouvert à toutes les idées généreuses. Vouloir apporter le bonheur à des populations sauvages, leur faire entrevoir un idéal et se refuser à voiler de sang cet idéal, c’est un beau rêve, malheureusement irréalisable».
L’intérêt de l’ouvrage du colonel Baratier avec le commentaire critique de Ch. Kounkou qui l’accompagne, est de nous révéler l’état d’esprit des agents de la pénétration coloniale au Congo. Un état d’esprit fait de préjugés sur la présumée supériorité du Blanc et imprégné du dogme de la mission civilisatrice de la France en Afrique et des bienfaits que cette dernière était supposée apporter aux populations africaines. Lorsque Marchand et Baratier se jurent de réduire au silence Mabiala Ma Nganga et Mabiala N’Kinké, ils le font en toute quiétude d’esprit et sûrs de leur bon droit, car à leurs yeux la cause coloniale française se doit d’avancer contre vents et marées, quel que soit le prix à payer. Comme quoi, il est bien dans la logique de l’Histoire de sourire aux Hommes avec un couteau entre les dents.
Jean José MABOUNGOU