Un festin littéraire a réuni vendredi 6 juin à Brazzaville, les férus du livre à l’occasion de la présentation-dédicace de l’ouvrage «Tribaliste toi-même», écrit par le journaliste, sociologue et enseignant Dr Émile Gankama. Paru en janvier 2025 aux éditions Les Lettres Mouchetées à Paris, le livre de 146 pages s’attaque frontalement aux méandres du tribalisme en Afrique, et plus particulièrement en République du Congo.
L’événement, tenu le vendredi 6 juin, a rassemblé un parterre de passionnés de littérature, d’intellectuels, d’universitaires, d’étudiants et de journalistes, venus écouter et débattre autour de cette œuvre dense et engagée, déjà saluée dans les cercles des critiques pour sa rigueur analytique et son ton sans concessions.
Le Dr Émile Gankama, bien connu pour sa plume alerte aussi dans la presse nationale que dans les milieux littéraires, propose dans Tribaliste toi-même une lecture lucide et parfois dérangeante des ressorts du tribalisme dans les sociétés postcoloniales. En mêlant analyse sociologique, récits de terrain et expériences personnelles, l’auteur déconstruit un phénomène souvent banalisé, voire instrumentalisé à des fins politiques ou communautaristes.

Le livre est préfacé par le Pr Joachim Goma Thé-Thé, figure respectée de la pensée critique congolaise, qui y voit «un cri salutaire contre la fragmentation sociale et l’ethnicisation des rapports sociaux». Pour lui, l’ouvrage de Gankama n’est pas un pamphlet, mais un outil pédagogique et politique, destiné à éveiller les consciences.
Deux critiques littéraires ont magistralement restitué la portée de l’ouvrage: Obambé Ngakosso, dit le panafricaniste, et Pierre Ntsemou, plus connu sous le pseudonyme Saint Pierre des mots, dont les interventions ont captivé l’auditoire.
Obambé Ngakosso est «toujours gêné lorsqu’on parle de tribu et d’ethnie en Afrique». Cependant, il a souligné la grande maturité intellectuelle de l’auteur, qui refuse toute posture moralisante pour adopter une démarche analytique, presque clinique, du tribalisme comme construction sociale, fruit de l’histoire coloniale, des logiques de pouvoir et des défaillances éducatives. Il a salué la capacité de Gankama à «articuler une critique sociologique à une dimension introspective».
De son côté, Saint Pierre des mots a insisté sur «l’écriture tendue, sans fioritures, de Gankama, qui ne cherche pas à plaire mais à faire réfléchir». Pour lui, Tribaliste toi-même est «une œuvre de salut public», qui s’inscrit dans la tradition des intellectuels africains soucieux de combattre les impensés collectifs.
Les professeurs Charles Zacharie Bowawo, Grégoire Lefouoba et André Patient Bokiba ont, chacun à leur manière, contribué à enrichir les échanges autour du livre. Le Pr Bowawo a replacé ce qu’il qualifie de la tyrannie de l’insignifiance qui est au cœur du champ politique congolais…être au stade du tribalisme, c’est être à cette époque primitive où il n’y avait pas de croisements a priori entre les tribus. Et aujourd’hui, y a nulle part dans le pays, ou dans le monde aucune tribu qui vit en autarcie, repliée sur elle-même. Pour lui, le terme d’ethnie semble plus adéquat pour caractériser les réciprocités violentes ou pacifiques dans lesquelles on «baigne». Le propos de l’auteur dans une perspective historique longue, rappelant que le tribalisme n’est pas un fait culturel en soi, mais une construction récente et pernicieuse des systèmes politiques et économiques.
Le Pr Grégoire Lefouoba à quant a abondé sur la déconstruction du clivage nord/sud au Congo à travers une carte de géographie puisque ni le sud ni le nord ne sont des ethnies. Le nord et le sud n’étant déterminer que par les latitudes, l’est et l’ouest par les longitudes. Enfin, le Pr André Patient Bokiba a conclu sur l’importance d’un changement de paradigme, notamment en créant des espaces de socialisation qui combattent les repliements identitaires, car en vantant l’appartenance à telle ou telle ethnie, on surélève ce qui est ontologiquement du hasard. D’autant que personne n’a voulu naître dans la tribu ou l’ethnie à laquelle on appartient. Cela relève du hasard.
Au-delà des discours, c’est l’engagement de l’auteur qui a marqué les esprits. Dr Émile Gankama, prenant la parole après les interventions, a confié avoir écrit ce livre «pour interroger nos silences, nos complicités, nos petites phrases du quotidien qui nourrissent les logiques d’exclusion». Il a affirmé ne pas viser une tribu, une région ou un groupe, mais plutôt «cette part de tribalisme que nous portons tous en nous, souvent sans le savoir».
Dans une ambiance studieuse et fraternelle, les lecteurs ont ensuite pu échanger avec l’auteur, faire dédicacer leur exemplaire et partager impressions et questionnements. Nombreux ont salué le courage du Dr Gankama d’aborder un sujet aussi sensible, dans un contexte où les appartenances ethniques restent parfois des tabous lourds de tensions.
Avec Tribaliste toi-même, Émile Gankama s’impose comme une voix incontournable de la scène intellectuelle congolaise contemporaine. Son livre est plus qu’un essai: c’est un miroir tendu à la société, une interpellation profonde, un appel à dépasser les enfermements identitaires pour construire un vivre-ensemble plus authentique.
Les éditions Les Lettres Mouchetées signent ici un coup éditorial fort, en publiant un texte aussi incisif qu’indispensable. Dans un pays encore marqué par les blessures de la division, cette œuvre jette les bases d’un dialogue nécessaire entre mémoire, vérité et réconciliation.
Gaule D’AMBERT