«Les confidences d’un déraciné» est un roman d’inspiration autobiographique sur le thème de la discrimination paru en 2019, aux Editions Paari, en France. En 1963, Pierre Massengo, un jeune Congolais d’une vingtaine d’années, décide d’aller tenter sa chance en France. Après trois semaines de navigation sur Le Lyautey — le paquebot qui assure la liaison entre la France et la côte atlantique africaine — il débarque à Marseille puis poursuit le voyage jusqu’à Paris. Le projet tant rêvé de fouler le sol du pays qu’on appelait encore la mère patrie, est devenu enfin réalité.
Massengo décroche un emploi d’ouvrier au Gam-Berger (GB), un des grands magasins de Paris. Travailleur consciencieux, respectueux de ses chefs, il perçoit le travail comme le moyen par excellence de l’ascension sociale dans le pays d’accueil. Pour assurer ses chances de promotion au GB, il passe avec succès un diplôme de commerce. Mais peine perdue, le GB ne tiendra jamais compte de ce diplôme, nonobstant toutes ses démarches auprès de la direction du personnel pour faire prévaloir son droit à un reclassement: il était ouvrier électromécanicien et il le restera jusqu’à la fin de sa carrière.
Sa religion est désormais faite: il se sait victime de «l’horrible griffure de l’injustice et du racisme», en raison de la couleur de sa peau. Plutôt que de donner sa démission, Massengo décide de rester dans l’entreprise afin de préserver les avantages acquis. Pourtant, son idée initiale était d’y travailler seulement quelques années dans la perspective d’un retour au pays natal: «Je suis rentré au GB pour un ou deux ans, maximum. Je ne comptais pas rester longtemps en France. Mais j’y ai aussitôt creusé mon trou.»
Dominique M’Fouilou touche ici un problème récurrent de l’émigration africaine des années soixante-soixante-dix. Nombreux, en effet, furent les ressortissants d’Afrique Noire qui arrivèrent en France, dans le but d’y travailler pour se constituer une épargne qui leur permettrait de se réinstaller, une fois de retour au pays. Mais on le sait, la plupart d’entre eux ne revinrent pas en Afrique dans les délais voulus, ainsi qu’ils en avaient formulé le désir. Comme le dit si justement Dominique M’Fouilou, ils creusèrent leur trou dans le pays d’accueil, et ce choix eut un prix : ils durent vivre dans leur chair le déchirement de l’éloignement de la terre natale et le déracinement. Des maux que ni la fréquentation de compatriotes les jours de week-ends ni les cérémonies de mariage et de baptême au sein de la communauté d’origine, ne peuvent combler: «J’étais arrivé Congolais, dit Massengo, je ne l’étais plus. J’étais devenu un immigré, un déraciné. Ce que je vivais, je l’avais accepté.» Au bout de quarante-trois ans d’activité dédiés au GB, Massengo est sur le point de prendre sa retraite. Son zèle au travail lui a valu d’être décoré de trois médailles d’honneur. Il attend maintenant avant de quitter l’entreprise, la dernière distinction de sa carrière d’employé modèle: la médaille grand-or. Cette distinction l’obsède, il la désire jusqu’à en devenir malade, il ne vit plus que pour elle et par elle. La médaille grand-or se donne à lui comme sa raison d’être et il ne conçoit pas de quitter le GB sans la tenir dans ses mains: «La quatrième et la dernière distinction (…), je la vis maintenant et la respire. Elle devient comme une maladie chronique. Quelquefois, je l’oublie. Et puis, tout à coup, elle revient, se fait présente, pressante, s’impose avec force (…) Je pense à ma médaille de toutes mes forces.
J’ai besoin de la toucher, de la sentir, de la porter. Sans elle, je me crois perdu sans avenir et sans vie.»
On l’aura compris, cette médaille symbolise à ses yeux toute sa vie de labeur, avec ses hauts et ses bas: «La médaille n’est là que pour récompenser ce que j’ai accompli pendant plusieurs années avec tant de souffrance et de sueur.»
Voici venu enfin le jour de la cérémonie de remise de la médaille grand-or. Dans le train de banlieue qui le conduit vers le GB, Massengo se dit in petto: «Certes, tout à l’heure je serai décoré de la médaille grand-or. Mais j’ai travaillé (…) pour l’avoir. Je ne suis jamais venu prendre votre pain! — le propos s’adresse aux Français, c’est nous qui précisons. Nous sommes tous, vous et moi, enfermés dans le même système socio-économique où je suis un maillon de la chaîne comme vous, avec les mêmes prérogatives dans le travail. Nous travaillons pour le même capital, dans la mondialisation (…) du marché international du travail.» Qui aurait l’outrecuidance de le contredire?

Jean José
MABOUNGOU