Un grand monument de la presse vient de quitter ce monde: Béchir Ben Yahmed. Fondateur et patron du groupe Jeune Afrique, il est décédé à l’âge de 93 ans, des suites d’une contamination à la COVID-19, le 3 mai 2021 à Paris, en France où il était hospitalisé depuis la fin du mois de mars. Béchir Ben Yahmed est né le 2 avril 1928, à Djerba dans une Tunisie sous protectorat français. Militant du Néo-Destour aux côtés d’Habib Bourguiba, il avait été, très jeune, ministre dans le premier gouvernement de la Tunisie indépendante. Mais la tentation du journalisme l’habitait déjà. En 1956, il lance l’hebdomadaire L’Action puis, en 1960, Jeune Afrique.
Après avoir mené de front ses carrières ministérielle et journalistique, il avait finalement opté pour la seconde et, pour se donner les moyens de son indépendance, avait décidé en 1962 de quitter Tunis pour Rome, en Italie. Puis, deux ans plus tard, pour Paris où le groupe est toujours installé.
Fondé pour accompagner le mouvement d’émancipation des peuples qui, à l’orée des années 1960, accèdent à l’indépendance, Jeune Afrique a pris une part active dans tous les combats qui ont depuis rythmé l’histoire du continent: contre les partis uniques et pour la démocratisation dans les années 1970-1980, pour l’indépendance économique dans les années 1990-2000 et pour l’inclusion de l’Afrique dans la mondialisation dans les années 2000-2020.
Le groupe qu’il a créé considéré à ses origines comme une gageure, célèbre cette année son soixantième anniversaire. Véritable école de journalisme où sont passés Frantz Fanon, Kateb Yacine, etc., Jeune Afrique a marqué des générations de lecteurs. Son influence lui a même valu d’être qualifié de «55e Etat d’Afrique».
Un groupe s’est constitué au fil des années, autour de l’hebdomadaire Jeune Afrique, s’étoffant d’autres titres, de lettres d’information, d’une maison d’édition, d’un département consacré à l’organisation d’événements et, bien sûr, de sites d’information en ligne. A la fin de la décennie 2000, Béchir Ben Yahmed avait passé les rênes du groupe à ses fils Amir et Marwane, ainsi qu’au directeur de la rédaction, François Soudan. Son épouse Danielle, qui a joué un rôle essentiel à ses côtés tout au long de l’histoire du journal, avait notamment lancé la maison d’édition du groupe.
Toujours passionné par l’actualité, il s’était investi en 2003 dans un nouveau projet: La Revue, magazine de réflexion sur l’actualité internationale, mensuel pendant plusieurs années avant de devenir bimestriel. Béchir Ben Yahmed fut un témoin privilégié de tous les soubresauts de l’Afrique et du Moyen-Orient, observateur et éditorialiste engagé. Il a fréquenté durant sa carrière des personnalités déterminantes du continent: le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, le Marocain Hassan II ou encore les Français Jacques Foccart dont il a coédité les Mémoires et François Mitterrand.
Dans les années 1960, il avait côtoyé Che Guevara à Cuba, rencontré à Hanoï, en pleine guerre du Vietnam, Ho Chi Minh, et bien connu l’Egyptien Gamal Abdel Nasser, le Ghanéen Kwame Nkrumah, le Congolais Emery Patrice Lumumba et l’Algérien Ben Bella.
Béchir Ben Yahmed est l’un des derniers grands témoins de l’Afrique des indépendances et de la période postcoloniale qui quitte ce monde.

Alain-Patrick MASSAMBA
(Source Jeune Afrique)