«Premier chant du départ» de Martial Sinda a été publié le 15 juin 1955 chez Seghers. Pour commémorer les 70 ans de ce livre fondateur, les éditions Orphie le rééditent en version augmentée, commentée et agrémentée de photos d’époque. Nous vous livrons un extrait de l’Avant-propos de Martial Sinda: L’histoire d’un poème. Parution du recueil de poèmes en mars 2025.
Il y a soixante-dix ans, les poèmes que voici et qui constituèrent en juin 1955, Premier chant du départ, paru aux éditions Pierre Seghers, étaient devenus introuvables dans les librairies. Rapidement épuisé – et sans laisser la moindre chance aux bibliophiles – Premier chant du départ fut aussitôt réédité dès 1956. […]
Il nous faut cependant rappeler ici, pour l’histoire du Congo, que Premier chant du départ a été le deuxième livre – le premier recueil de poèmes publié par un Congolais, après le récit La légende de M’Pfoumou ma Mazono du sénateur Jean Malonga, doyen incontesté des Lettres congolaises, tandis que paraissait, à l’extrême fin de décembre 1955, Le mauvais sang, recueil de poèmes de Gérard Félix-Tchicaya, plus connu depuis lors sous le nom de Tchicaya U tam’si. Il convient également de signaler que Premier chant du départ fut aussi le premier prix que remportât un Congolais sur le plan littéraire. Ces poèmes, grâce auxquels on découvre et on connaît un peu plus la vie des Congolais du Moyen-Congo d’autrefois, présentent incontestablement aujourd’hui un intérêt historique indéniable.[…]
…tout jeune homme, j’avais éprouvé… 1956, les deux plus grandes émotions de ma vie: d’abord, ma réception en mai, à la Cité du Vatican, à Rome, par le Pape Pie XII, en audience privée, et, ensuite, en juin, l’accueil triomphal et les chaleureuses félicitations dont je fus l’objet de la part des membres de l’Association (des Écrivains de la Mer et de l’Outre-Mer) et de son dynamique président Jean d’Esme, lors de la cérémonie de remise de mon prix littéraire.
Ainsi, depuis longtemps, ces trois livres et la revue Liaison, qui constituèrent l’ossature de la littérature congolaise, voire centrafricaine, allaient être d’un poids déterminant dans la profusion littéraire actuelle que connaissent l’Afrique Centrale et plus particulièrement le Congo. L’histoire, par probité intellectuelle, se devait de retenir ces points importants […]
Mon livre qui avait connu un franc succès de librairie reparaît – après un long intervalle de soixante-neuf ans – et je le relis à mon tour comme s’il était écrit par un autre.
Cédant à l’insistance de la génération montante et des professeurs de littérature négro-africaine, je me suis, enfin, résolu à le faire rééditer à un moment où la littérature négro-africaine et l’histoire africaine ont conquis de haute lutte leurs lettres de noblesse dans les lycées et les Universités francophones et étrangères.
Je n’ai, par rapport aux poèmes initiaux, apporté aucune retouche, car, pour moi, un poème publié ne devrait plus être modifié pour ne point trahir les effets de sa spontanéité émotionnelle. Ce sont là des poèmes d’enfance, de tendresse, d’amour et de souvenirs de révolte. Non. Je n’ai pas voulu les réécrire pour ne point trahir ni détruire les souvenirs du musée de ma juvénile passion.[…]
Je ne suis pas le poète d’un seul et unique recueil de poèmes, comme aiment à me le répéter mes enfants: Sabine, Nathalie, Joël et surtout Thierry Sinda, aujourd’hui, poète lui-même, critique littéraire et maître de conférences des universités françaises. En effet, si je n’ai pas publié régulièrement, je sais cependant que je ne suis pas venu comme par hasard dans l’histoire de la littérature négro-africaine, mais bien par la voie royale de l’effort. Mais les difficultés de la vie, l’adversité des hommes et de la nature, ajoutées aux dures recherches en histoire et en littérature négro-africaine auxquelles j’ai consacré la majeure partie de mon temps, ne m’ont guère donné l’occasion d’exercer pleinement mon métier de poète. Ce sont là, les raisons pour lesquelles, j’ai été absent pendant les farandoles des Lettres francophones. Malgré cette longue absence, j’ai toujours été sans inquiétude, car je savais toutefois que mon nom était incontournable sur le plan littéraire au Congo, voire des Lettres francophones elles-mêmes, d’autant plus que la littérature négro-africaine et la Recherche scientifique en histoire l’avaient depuis longtemps retenu et inscrit à leurs palmarès.[…]
Ces poèmes de la «sincérité» et de l’«engagement» étaient le «Message» du tout jeune que je fus, et qui, dans des circonstances cruelles et pénibles de la colonisation, cherchait à s’identifier au destin de son pays.
Devenu le témoin qui fixe les événements d’une époque coloniale extrêmement dure et humiliante que combattaient avec la plus grande énergie au nom des libertés naturelles de l’homme, mon père, le chef Sinda, et ses pairs, alors chef du Congo de la région du Pool, j’avais chanté, avec force et vivacité, le chant qui prophétise et libère ainsi par sa magie invisible, les esprits apeurés auxquels il pouvait redonner confiance et le goût de vivre en société.
Il faut rappeler, avec force ici, que les populations comme les chefs eux-mêmes de la région du Pool du Congo, n’ont jamais été contre l’amitié française, mais plutôt contre les méthodes coloniales vexatoires et rétrogrades qui les asservissaient. Cette amitié française s’est manifestée en bien des occasions […]»
Martial SINDA
SINDA (M.), Le messianisme congolais et ses incidences politiques, «Prix Georges Bruel 1974» de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, Payot, Paris 1972.
Pour que le Congo et les générations montantes se rappellent pour jamais ces chefs et notables: André Matsoua, Matouba, Moundongo, Samba Ndongo, Biza, Filankembo, Bakemba, Massounga, Samba Pasquion, Camille Kinzonzi … Thomas N’Kari, Pierre Kinzonzi…
La joie de mon père fut à son comble lorsqu’il assista avec son beau-frère, le chef Matouba de Manga-Madzia à la tribune d’honneur, en présence du ministre d’État français, André Malraux, le 15 août 1960, à la proclamation de l’Indépendance du Congo par M. l’abbé Fulbert Youlou, premier maire de Brazzaville et premier Président de la République du Congo.