Rentré au Congo en 2012, après des études supérieures et une expérience professionnelle en Europe, à la tête de deux entreprises agricoles à Dolisie et dans le Pool, Michel Djombo est le nouveau patron de l’Union patronale et interprofessionnelle du Congo (UNICONGO). Le principal syndicat patronal congolais a été porté sur les fonts baptismaux en 1958. Président sortant de la Fédération agriculture, élevage et pêche d’UNICONGO, il a été élu à l’issue de l’assemblée générale du 22 décembre 2022. Il nourrit l’ambition de redynamiser le dialogue public-privé. Interview.

*Quels sentiments vous animent après avoir été porté à la tête d’UNICONGO?
**Un sentiment de satisfaction, parce que lorsque vous êtes élu par vos pairs pour porter leur voix, ça signifie qu’ils voient en vous du potentiel. Ils considèrent que la vision que vous leur avez proposée est la bonne et comptent sur vous pour porter leur voix. Donc c’est de la fierté, mais aussi beaucoup de responsabilité. Parce que lorsqu’on défend les intérêts du secteur privé, dans un environnement qui peut parfois être difficile en termes d’environnement des affaires, les challenges ne manquent pas. Donc, je mesure la responsabilité qui m’est donnée, mais je la prends avec beaucoup d’enthousiasme.

* En résumé, c’est quoi UNICONGO?
**UNICONGO est le principal syndicat patronal de notre pays. Nous regroupons la grande majorité des sociétés formelles, c’est-à-dire celles qui ont pignon sur rue, qui sont durables, qui ont un certain historique, qui sont appelées à durer dans le temps et qui sont en règle avec les pouvoirs publics et leurs obligations fiscales. Et la plupart de ces entreprises se retrouvent au sein d’UNICONGO, rassemblées dans un certain nombre de fédérations qui correspondent au secteur de notre économie. Nous avons donc treize fédérations au sein de notre Union. La Fédération agriculture, élevage et pêche que j’ai présidée; la Fédération banque, assurance microfinance; la Fédération industrie; la Fédération services professions libérales, commerce, etc. Donc, on est organisé, soit en silos par Fédération, soit vraiment en union globale qui agit globalement sur l’amélioration du climat des affaires, la défense des intérêts de ses membres.

*Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté?
**Pas UNICONGO en tant que structure, mais les membres d’UNICONGO, bien évidemment, ont d’abord pâti grandement de la crise économique. Comme toutes les sociétés, y compris même les acteurs de l’informel, nous avons été grandement touchés par la chute des cours du baril de pétrole. Beaucoup de nos sociétés ont dû mettre la clé sous la porte. Nous étions 350 membres avant la crise. Nous sommes descendus à une cinquantaine de membres. Aujourd’hui, il y a environ trois cents membres. Mais au fur et à mesure, tous les mois, on enregistre de nouvelles adhésions. On va bientôt repartir à 350 membres. On a eu cette fluctuation du nombre de membres parce que, simplement, les sociétés adhérentes ont dû fermer, ont dû se mettre en sommeil par rapport à la crise. Et je profite aussi de l’occasion pour relever que pendant la période de crise, on a eu un peu l’impression, dans le secteur privé, d’être la vache à lait. C’est comme si on ne comptait que sur le secteur privé pour aider à relever l’économie. Pendant la période de crise, on a senti un redoublement des contrôles, une pression qui, parfois, a été difficilement soutenable pour les entreprises. C’est-à-dire: imaginons que vous payez une certaine valeur par rapport à un chiffre d’affaires, on vous a augmenté ce que vous aviez à payer, plutôt que de trouver d’autres acteurs, plutôt que de trouver des niches fiscales, plutôt que de trouver d’autres revenus diversifiés de revenus de l’État, on s’est appuyé sur ces mêmes pour pouvoir créer de la trésorerie pour les voies publiques pour pouvoir tenir la crise. Et ça, ça a été très difficile. Lorsque vous êtes nombreux et que le nombre se réduit, que la pression qui pesait sur l’ensemble commence à peser sur un nombre plus réduit, eh ben, c’est difficilement supportable.

*Quand vous parlez de crise, j’imagine que vous faites également allusion à celle liée à la COVID-19?
** Pour la crise des matières premières, les difficultés ont commencé en 2014. Fin 2013, on a commencé déjà à sentir quelques resserrements : 2014, 2015… on a, en 2019, commencé à sortir la tête de l’eau. On a senti un frémissement, un redémarrage de l’économie. On avait quelques signaux positifs. Et là, avec la COVID-19 que vous évoquez, effectivement, on est retombé encore dans une situation qui prévalait trois, quatre ans plus tôt. On a réussi quand même à avoir une certaine résilience pendant la COVID-19, et là encore, la guerre en Ukraine est arrivée. Et avec la guerre en Ukraine, une explosion des coûts des matières premières pour ceux qui produisent ou importent la matière première, une explosion du coût des marchandises pour les commerçants importateurs qui importent et distribuent dans le marché congolais. Et là encore, ça nous met un peu en difficulté. Je dirais, aujourd’hui, parce que les gens ne sont pas toujours conscients du contexte international et ne se limitent qu’aux prix qu’ils voient devant eux, qu’au coût du panier de la ménagère, on a l’impression que certains commerçants, certains importateurs sont un peu comme des profiteurs ou comme on disait à une époque, des profito-situationnistes. Alors même que nous sommes tributaires. Etant un pays tributaire des importations, si quelque chose sur le marché international coûtait 500$ la tonne, par exemple, vous êtes importateur, demain, ça passe à 800$, vous payez 800$. Lorsque vous importez et que vous êtes face des fois à un public qui n’est pas conscient des enjeux internationaux ou de l’impact des enjeux internationaux sur les prix, il ne voit que le prix qu’il paye au quotidien. Il considère que les commerçants sont un peu les profiteurs. Ça c’est dommage mais nous devons travailler, la responsabilité nous revient à communiquer largement pour améliorer cette perception et travailler. C’est ce qui est en cours actuellement avec le Gouvernement pour trouver les moyens de baisser les prix sur le marché local.

*Quelles ambitions nourrissez-vous pour votre structure?
**La première, c’est de redynamiser le dialogue public-privé. Aujourd’hui, trop souvent, les pouvoirs publics prennent des décisions sans concertation. Lorsque ces mesures sont prises en compte, certaines sont appliquées parce qu’elles ne présentent pas de difficultés. D’autres ne peuvent pas être appliquées en l’état et souvent, génèrent une levée de boucliers du secteur privé qui s’y oppose ou qui tente de moduler l’application, de faire des propositions pour changer la mesure. Et très souvent, ça crée une crispation des pouvoirs publics qui ont l’impression que le secteur privé, le patronat en particulier, est comme une force de contradiction qui s’oppose à toutes les mesures. Alors que, si en amont, nous parlions; si nous étions appelés à la table pour dire voilà la difficulté face à laquelle le Gouvernement est, voilà l’idée que nous avons à l’esprit, qu’en pensez-vous? Dites-nous quel est l’impact de vos activités? Quelles peuvent être les limites, si on mettait en place aujourd’hui cette mesure? Parce qu’en réalité, nous ne pouvons pas nous opposer à une mesure de l’Etat, parce que l’Etat est dans son rôle régalien de mise en place d’un cadre de régulation, de coordination, et cetera. Par contre, des fois, l’Etat n’est pas toujours conscient de l’impact de ses mesures. Donc, si je ne réalisais rien d’autre à la tête du patronat que la repise en compte des intérêts du secteur privé, et l’écoute par les pouvoirs publics du secteur privé dans toutes les prises de décisions, ça serait déjà un accomplissement fabuleux. Mais, on a beaucoup d’autres chantiers, bien évidemment. Parmi ces chantiers, il nous faut trouver des solutions pour diversifier l’économie. La responsabilité ne revient pas qu’au Gouvernement. C’est à nous aussi d’identifier des projets, d’encourager nos membres à développer des nouveaux projets dans différents secteurs. Ceux qui sont importateurs aujourd’hui, par exemple, ça, c’est le sujet à la mode, les emmener à devenir des producteurs locaux. On a, parmi nos membres, des gens qui importaient des savons. C’était une grande société de la place importatrice de savon, par exemple qui, aujourd’hui, produit des savons locaux, qui s’est lancée dans la minoterie, qui se diversifie. Et ça aussi, c’est de notre ressort. Donc ça fait partie de mes chevaux de bataille: amener nos membres à réfléchir aux côtés de l’État, à la substitution des importations par la production locale. C’est un challenge, parce qu’il y a beaucoup de freins structurels locaux. Mais il nous faut quand même commencer à mener la réflexion. Donc, ça c’est un des axes de bataille de ma présidence également.

Propos recueillis par
Véran Carrhol YANGA