En quelques jours, notre plus grande ville est devenue une forteresse assiégée. Les forces de l’ordre sont passées à l’attaque de l’ennemi sournois qu’a été jusqu’ici le «Kuluna», le «bébé noir», le «kata-kata». Autant de surnoms pour désigner l’enfant à la machette cachée dans le dos et qui, avec un sourire de miel, vous agressait avec surprise et vous dépouillait du peu que vous aviez. Puis, qui, la nuit venue, se fond aux murs de nos maisons pour s’en prendre à tous ceux qui commettraient l’imprudence de se livrer à la dangereuse insouciance. Blessures béantes, attaques impitoyables contre les vieilles mères de famille ou les jeunes revenant de l’école : tous y passent. C’était à Brazzaville, c’était aussi à Pointe-Noire.
Depuis trois semaines la peur semble avoir changé de camp. Agissant comme une force publique de police ou de gendarmerie, les agents de la Direction générale de la sécurité présidentielle (DGSP) ont envahi les quartiers pour arrêter les délinquants visibles ou supposés, en abattant même quelques-uns selon des témoins. Réputés agir sur les motos qui leur servent aussi de mototaxis, ces jeunes gens, quand ils échappent à leur propre mort, en sont réduits à regarder se consumer leurs engins, brûlés par les agents. Parfois sous l’applaudissement de la foule. Le fait est qu’en l’absence des mototaxis, la criminalité aussi semble avoir diminué dans les quartiers.
Mais jusqu’à quand? Jusqu’à quand la DGSP va-t-elle maintenir les jeunes criminels loin des quartiers. Et jusqu’à quand l’opinion va-t-elle s’en tenir à la seule émotion devant une option qui viole ouvertement les droits de l’homme? Le Congo a fait disparaître de son arsenal juridique tout recours à la peine de mort. Une telle mesure publique de justice contre des violeurs et des tueurs, a suscité une grande émotion. Mais cette opération pêche par son excès et l’assurance de son impunité. Il faudra revoir les mesures de lutte contre ce banditisme et ne pas se contenter de l’instinct du moment.
Les «Kulunas» repérés ou suspectés font profil bas, mais on ne doute pas un instant qu’ils reprendront du poil de la bête dès que la virulence de l’action menée contre eux aura cessé. Plus fondamental: résoudra-t-on ce problème, véritable fléau social, par l’éradication ou par l’extermination? Les «Kulunas» d’aujourd’hui seront les grands citoyens de demain; il nous faudra bien leur faire de la place dans la société.
Albert S. MIANZOUKOUTA
