Pour la commémoration du 80e anniversaire du Manifeste de Brazzaville signé le 27 octobre 1940 par le Général Charles De Gaulle, une eucharistie a été célébrée lundi 26 octobre 2020, en la Basilique Sainte Anne du Congo.

Elle a été présidée par Mgr Anatole Milandou, archevêque métropolitain de Brazzaville. Il avait à ses côtés les cardinaux Fridolin Ambongo Besungu, actuel archevêque de Kinshasa et Laurent Mossengwo Pasinya, archevêque émérite de Kinshasa (République Démocratique du Congo); NN.SS Daniel Mizonzo, évêque de Nkayi, président de la Conférence épiscopale du Congo (CEC); Victor Abagna Mossa, archevêque d’Owando et vice-président de la CEC; Bienvenu Manamika Bafouakouahou, archevêque coadjuteur de Brazzaville et administrateur apostolique de Dolisie; Yves Marie Monot, évêque de Ouesso; Urbain Ngassongo, évêque de Gamboma; Louis Portella Mbuyu, évêque émérite de Kinkala. Aussi, les évêques membres de l’Association des Conférences épiscopales de la région de l’Afrique centrale (ACERAC), notamment NN.SS Abraham Kome du Cameroun, Nestor Nongo et Richard Apora de la RCA, Miguel Angel Nguema de la Guinée Equatoriale. Dans son homélie, Mgr Victor Abagna Mossa a indiqué que la basilique Sainte-Anne est une œuvre historique, un souvenir qui fait revivre quelques moments d’histoire de Brazzaville, capitale de la France libre. «Vous qui avez accepté de commencer cette semaine par le passage dans cette basilique Sainte-Anne, souvenez-vous: le premier président du Congo indépendant, l’abbé Fulbert Youlou a, dans son premier discours, dédié le Congo à la Vierge Marie, la Mère de Jésus, celui-là même dont nous célébrons en ce moment le seul sacrifice qui pouvait plaire à Dieu. Notre autorité politique a voulu que nous nous souvenions d’un évènement de grande importance mais qui est peut-être tombé, négligé dans nos consciences. Cette semaine on nous fera souvenir de Brazzaville, capitale de la France-libre. Nous prions pour tous ceux qui viennent participer à ce souvenir.
Un peu d’histoire ne nous fera pas de mal. Nous sommes en 1940, en pleine guerre mondiale. La France dont le Congo est déjà une colonie comme l’Oubangui-Chari, le Gabon, le Tchad a perdu sa liberté, occupée qu’elle est par l’Allemagne nazie. Que va-t-elle devenir, et sa culture? La France est dans l’humiliation. Depuis 1901, Brazzaville est la capitale de l’Afrique Equatoriale française (AEF). Alors qu’un homme cède et donne la poignée de main «de la honte», un autre homme, De Gaulle qui a refusé de reconnaître cette victoire est passée à Londres en Angleterre d’où il lance l’appel à la résistance. L’Allemagne est toujours là quand De Gaulle arrive au Congo quatre mois après Londres. C’est en Afrique, au Congo que De Gaulle trouve l’énergie nécessaire pour continuer la guerre. Alors que l’armistice a été déjà signé le 22 juin, De Gaulle appelle les Français libres à continuer la guerre. Il recrute une petite armée dite «les Forces Françaises libres». Il est reconnu comme chef, mais il n’a pas de territoire. Depuis Londres il a dit: «La France n’est pas seule, elle a un empire derrière elle: l’Afrique Equatoriale Française». C’est vers cet empire que De Gaulle vient. Il fait de Brazzaville la «capitale de la France-libre»: Ici le drapeau français peut flotter alors qu’en France, cela ne se peut plus et on n’entend plus la Marseillaise. Le 27 octobre 1940, De Gaulle lance le Manifeste qui crée le Conseil de Défense de l’Empire. Premier organe de la France libre, un sursaut d’orgueil pour le relèvement de la France. Avec les Alliés, l’Afrique se mobilise aux côtés de la France pour la libérer des griffes de la puissante armée d’Hitler. La France aussi compte des soldats à la peau noire. Que serait devenu Paris sans l’Afrique en 1939-1945? Les peuples d’Afrique se sont engagés et ont contribué à faire que l’histoire de la France soit aujourd’hui celle que nous connaissons. Et à force de combattre, la soif de liberté devenait aussi plus forte jusqu’aux années 1958, 1960 et 1962 pour l’Algérie. Presque toutes les colonies ont accédé à leur souveraineté. Il faut noter tout de même que l’esclavage et la colonisation ont été des moments douloureux pour les Africains. Et des questions peuvent encore se poser: quels genres de relations ont existé entre les ex-puissances coloniales et leurs anciennes colonies. Ces relations ont- elles été vraies et bonnes? Nous nous souvenons, mais une telle histoire est-elle encore étudiée dans nos écoles?
Cela va nous permettre d’assumer notre histoire, mais cela ne devrait-il pas nous aider à d’autres engagements, d’autres sursauts. Quelqu’un a écrit: «la colonisation est bien finie, mais la coopération est bien là avec ses exigences et parfois aussi ses émotions». Un historien Gankama N’siah écrit: «Célébrer les 80 ans de la Déclaration de Brazzaville-capitale de la France libre, consiste à rappeler la place exceptionnelle que la capitale du Congo a tenu au moment où la France menacée dans son existence s’est unie pour sa liberté. Cela se résume aussi à la volonté de Brazzaville de montrer que le souffle de la liberté parti d’Afrique est un bien universel».
Souvenons-nous avec le politique, avec nos politiques, souvenons-nous: il y a des hommes qui ont cru à notre humanité, à la force que nous pouvions avoir, aux engagements que nous pouvions prendre: des engagements qui ont permis à un peuple qui plongeait dans le déshonneur de se relever, de se redresser et d’entrer dans le concert des grandes Nations pas seulement avec des armes, mais et surtout culturellement et spirituellement. Si nous avons permis à d’autres de se relever, de s’unir, pourquoi ne le ferions-nous pas pour nous-mêmes. Que sont devenues les valeurs de nos diverses cultures? Spirituellement, il y a plus de 135 ans que nous avons reçu la culture chrétienne et que nous en avons découvert les valeurs; aujourd’hui, sommes-nous fiers d’être devenus des disciples de Jésus-Christ qui a fait de nous ses frères, donc des enfants de Dieu. Souvenons-nous aujourd’hui que nous sommes devenus des enfants de Dieu, que tous les croyants appellent «Notre Père». Alors, nous sommes logiquement tous des frères et des sœurs. Que faisons-nous aujourd’hui de la fraternité que le créateur attend des hommes, ses créatures. Comment comprendre que des hommes s’acharnent à détruire leurs frères ou leurs sœurs en humanité pour jouir seuls de ce monde. Aux catholiques, je voudrais redire ce que Saint Paul nous a fait entendre ce soir: «Cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour, vivons dans le désir constant de faire que l’autre (mon frère, ma sœur, noir, blanc ou rouge) soit heureux, s’épanouisse, soit en bonne santé. Que ceux qui sont chrétiens, donc qui appartiennent à la famille des enfants de Dieu, disciples de Jésus- Christ, soient pleins de tendresse, qu’ils se pardonnent les uns les autres.
Souvenons-nous de cette autre parole que nous avons entendue: «autrefois, vous étiez ténèbres; maintenant, dans le Seigneur, vous êtes devenus lumière: vivez comme des fils de lumière».
Depuis les années 60 nous avons acquis nos indépendances; est-ce simplement pour avoir participé à la guerre? Le soldat blanc ou noir avait connu la même souffrance, le même espoir de liberté. Saint Paul pense en écrivant cette parole à notre vie morale. Je pense que nous pouvons dire la même chose, nous qui sommes sortis de la colonisation. Avant notre autonomie, il y avait comme une lueur qui se montrait à nous, un espoir d’une vie meilleure. Nous avions dit «une Longue nuit s’achève, un grand bonheur a surgi», mais avons-nous quitté cette longue nuit? Puis nous avons chanté «un Congo libre et nouveau qui jamais plus ne faillira, que personne n’effraiera». La France-libre que nous avons aidée à se redresser n’est-elle pas trop loin de nous. Avons-nous su utiliser toutes les forces, toutes les intelligences, tous les talents que Dieu a donnés à ce pays qu’il aime? Sommes-nous devenus une «Nation souveraine»? Ne sommes-nous pas retournés dans notre longue nuit? Les futurs responsables de demain nous donnent-ils de l’espoir pour ce pays, pour cette Nation?
Le chrétien a entendu Jésus lui dire: «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde». Dans notre longue nuit, le chrétien est-il devenu lumière pour ses frères? L’école nous a permis de comprendre beaucoup de choses, devenu élites parmi mes frères, mes sœurs, ma Nation a-t-elle profité de mon élévation?
Depuis les années 60, nous sommes devenus indépendants, libres. Que signifient pour nous ces termes de liberté, d’indépendance. Brazzaville la Verte, capitale de la France-libre, est-elle demeurée libre? J’ai pour ma part des idées simplistes, trop simplistes sur ce qu’est la liberté, l’indépendance, l’autonomie. Je me dis: nos pays ne sont pas indépendants, du moins le Congo que je connais. En effet, dans un pays qui a du bois, du pétrole, du fer, du manganèse, de l’or et que sais-je pourquoi n’utiliserait-on pas toutes ces richesses, d’abord, pour le bénéfice de chaque citoyen? La monnaie pourrait être celle que donnerait l’équivalent de notre or par exemple sur le marché international. C’est ainsi que je me dis: mon impression est que ce que produit le sol ou le sous-sol sur lequel le créateur a choisi pour moi ne sert vraiment qu’à d’autres. Et parfois, le mal, c’est nous-mêmes: notre égoïsme, notre soif d’enrichissement, notre orgueil, l’oubli que nous avons de l’autre.
Ne nous sommes-nous pas laissés égarer comme dit la Parole de Dieu, par des paroles creuses qui nous font croire que la vie ce sont les maisons, l’argent, les richesses matérielles, tout ce qui passe sous le firmament. Oui, tout passe et nous n’emporterons rien. Notre Nom pourra rester et il dira notre bien ou notre mal. Que ne devenons-nous pas des fils de lumière: des hommes et des femmes que la Parole de Dieu dirige et conduit. Notre orgueil, notre aveuglement, le refus de changer sont aussi des ténèbres qui nous empêchent d’aller plus loin. Nous sommes comme ce chef du temple de l’Evangile qui refuse de se réjouir de la guérison de l’autre, jaloux du guérisseur qui risquerait de prendre sa place certainement, sûr de ces connaissances qui l’ont aveuglé. Jésus est venu pour nous libérer du mal, de Satan l’orgueilleux qui ne cesse de tromper les hommes. Et beaucoup de ceux-ci choisissent aujourd’hui de s’éloigner de Dieu pour emprunter les chemins de Satan pour un royaume où ne règnera ni l’amour, ni la paix d’avoir enfin atteint le but recherché, le vrai bonheur que le Dieu de Jésus-Christ donnera à ceux qui lui resteront fidèles. Jésus nous dit: «Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde». Devenons-le et les églises ne se fermeront pas», a dit l’archevêque d’Owando.
A la fin de la célébration eucharistique, le cardinal Fridolin Ambongo a remercié les autorités ecclésiastiques congolaises et les pouvoirs publics pour l’invitation à participer à cet événement historique qui a donné une impulsion décisive à «Brazzaville, capitale de la France libre» pour que les pays africains accèdent aux indépendances dans les années 60.
Pour sa part, Mgr Anatole Milandou a loué cette initiative et exhorté le peuple congolais à s’approprier l’histoire du pays.
A signaler que la journée du mardi 27 octobre a été marquée par un concert de chants religieux animé par la chorale Les Piroguiers en la basilique Sainte-Anne. Une soirée riche en spectacle ponctuée par des évocations.

Pascal BIOZI KIMINOU