Il est surprenant que le Congolais, malgré les événements pesants qui lui sont tombés dessus dans cette décennie ou les décennies antérieures garde la bourse de ses préjugés intacte. Il repart bien volontiers sur les horreurs de la guerre tribale de 1959, pour en faire le marqueur de l’histoire qu’il conserve et entretient. « Quel est votre nom déjà ?». On piaffe dans un bureau où l’on était venu pour une courte formalité administrative, et on se voit soumis à une véritable revue de généalogie. Tout cela pour savoir si on est du bon côté !
Le problème d’une éventuelle nation congolaise, s’imposant au-dessus de tous et en toute justice, c’est que les délits, graves ou mineurs ne se jugent pas à l’aune de la loi. Ils sont considérés comme parfaitement tolérables dès lors que le fils de Ya X, est faussement accusé par ceux d’en-face. Par définition les méchants et les véreux. D’autant plus méchants qu’ils ne rapportent pas de kits humanitaires ou des sacs de riz au village.
Nous sommes acculés à jouer les esquiveurs de la réalité ; les gens du double langage: ne jamais rien dire de direct sur celui qu’on traitait pis que pendre la veille, dans le cercle restreint de la famille. Surtout, ne pas lui dire qu’il ne favorise que les gens de son coin: dans le manuel du politiquement correct, ce sont des choses qui ne disent pas. Et, d’ailleurs, l’homme ou la femme pourrait prendre ombrage de ces dysfonctionnements pour vous recaler. Tout simplement. Il ou elle vous accuserait de tribalisme qu’on n’en serait pas étonné.
Nous sommes Congolais, mais par strates. Il y a ceux qui sont nantis et sur qui reposent la prospérité et la stabilité du Congo. Il y a ceux qui ont pu envoyer leurs enfants aux études à l’étranger. Il y a ceux dont les enfants figurent toujours en bonne place sur les listes de recrutements ou des concours. Il y a ceux qui estiment que le pays va bien et que ceux qui se plaignent sont les éternels pleurnichards, les loosers de toujours qui trouvent qu’alléger le Trésor public de quelques millions n’aura aucune incidence sur la marche des dispensaires à Nkombo ou à Makélékélé. Ce faisant, nous empêchons les plaies de se refermer. En ce mois de mars, si chargé en symboles de sang, c’est reculer l’heure de la cicatrisation sans laquelle une Nation ne peut se bâtir.

Albert S. MIANZOUKOUTA