Poète et universitaire d’origine congolaise, Thierry Sinda est à l’origine du Printemps des Poètes des Afriques et d’Ailleurs qui tiendra sa vingt-deuxième édition en mars 2025 à Paris. Auteur de plusieurs ouvrages, il vient de lancer son propre label: TSM éditeur, avec ‘’Les Olympes noirs’’ du poète martiniquais Henri Moucle, à l’occasion des Jeux Olympiques Paris 2024. Dans cette interview, le fils du renommé Martial Sinda, professeur honoraire à la Sorbonne, premier poète de l’Afrique Équatoriale française et chercheur de premier plan parle, notamment de ce livre qui célèbre les premières figures noires s’illustrant dans le sport au niveau olympique et mondial, à une époque où les préjugés racistes à l’encontre du Noir battaient leur plein.
*Pourquoi avoir créé TSM éditeur et lancé Les Olympes noirs pendant les J.O. Paris 2024?

**C’est une coïncidence. Henri Moucle m’avait déjà confié ses poèmes constituant ‘’Les Olympes noirs’’ depuis trois ou quatre ans. Il est vrai que les JO Paris 2024 qui se passaient dans notre ville ont reboosté le projet éditorial. N’ayant pas trouvé un éditeur qui ne dénaturerait pas le concept que j’ai imaginé, je l’ai édité moi-même. ‘’Les Olympes noirs’’ n’est en rien un livre de circonstances, mais un livre authentique, un livre-phare qui en appelle d’autres.
*Quel est le thème de ce livre?
**’’Les Olympes noirs’’ est le premier livre en francophonie qui met en avant le rôle des premiers sportifs noirs de niveau mondial ou olympique dans la lutte contre les discriminations raciales. Le propos de Moucle porte essentiellement sur des sportifs noirs américains de 1908 à 1968. 1908, c’est pour moi le manifeste vivant Jack Johnson, premier Noir champion du monde de boxe poids lourd en battant un Blanc. C’est un séisme face à l’ordre établi: un Noir descendant d’esclave, qui avait jadis le statut de «bien meuble» sur lequel son maître blanc avait droit de vie et de mort; un Nègre, à cette époque ségrégué et mis au ban de la société, va battre un Blanc sur un ring de boxe. 1968, c’est le Civil Rights Act, la loi qui met fin sur le papier aux discriminations raciales aux États-Unis. C’est cette année aux JO de Mexico que Tommie Smith et John Carlos vont sur le podium du 200 m, où ils s’illustrent, lever le poing à la manière des Black Panthers pour dénoncer, au monde entier, le racisme institutionnel dont les Noirs sont victimes à travers le monde.
*Quel est le concept que vous avez conçu pour cet ouvrage?
**J’ai souhaité faire un livre atypique mêlant poésie, photo et prose, et petite et grande histoire de manière chronologique. Ainsi pour chaque figure que nous avons choisie il y a: une photo, une mini-biographie dont je suis l’auteur, et le poème «biographique et événementiel» d’Henri Moucle (pour reprendre les termes de feu la princesse poétesse malgacho-comorienne Houria). Le tout se répand dans des vases communicants. Certains éditeurs m’avaient proposé de remplacer les photos par des desseins (peut-être pour des questions de coût de fabrication), mais j’ai refusé car ce ne sont pas des êtres imaginaires, pas des êtres de papier, mais des êtres réels qui ont existé et qui sont pour la plupart passés aux oubliettes…Dans le mouvement de ce que j’appelle la fierté nègre à Paris — qui commence en 1921 avec Batouala, véritable roman nègre de René Maran (éd. Albin Michel, Prix Goncourt 1921),— et qui s’illustre poétiquement avec le mouvement de la Négritude des années 1940-1960 (dont le manifeste est «l’anthologie nègre» de Léopold Sédar Senghor, éd. PUF, 1948), que nenni, aucune référence à ses grands sportifs noirs qui ont contribué à faire avancer la lutte pour la dignité de l’Homme noir et de sa culture.
*Vous voulez dire que le sport n’a pas été pris en considération par ces écrivains, artistes et intellectuels noirs émérites qui se sont inscrits dans un mouvement de réhabilitation du Noir et de sa culture ?
**Ces auteurs se sont inscrits à l’époque coloniale dans un puissant mouvement dynamique de lutte pour la réappropriation de la personnalité africaine, et ce jusqu’à l’indépendance de l’Afrique. Ce fut très courageux et fort honorable de leur part. Cependant, ils ont fait l’impasse sur la thématique de l’importance majeure des premiers sportifs noirs de haut niveau dans la lutte pour la réhabilitation du Noir. Henri Moucle apparaît donc 64 ans après comme un redresseur de torts. Au niveau des scientifiques, on notera qu’il n’existe aucune histoire mondiale sur le sport afro. Aucun universitaire n’a encore fait une monographie valable du sport dans tel ou tel pays africain, en prenant en considération le sport depuis l’époque coloniale jusqu’à nos jours.
Propos recueillis par
Véran Carrhol YANGA