Dans le district de Kellé, une composante de l’Unité Forestière d’Aménagement (UFA) Kellé-Mbomo située dans la Cuvette-Ouest à 700 km de Brazzaville, au nord du Congo, subit une intense exploitation semi-industrielle de l’or alluvionnaire cause de déforestation et de la disparition de 150 ruisseaux. Une destruction environnementale attribuée en 2019 à la société chinoise Agil Congo qui avait alors pris l’engagement de réhabiliter les sites détruits. Mais trois ans après, les riverains et les ONG affirment que rien n’est fait, alors que l’exploitant et le gouvernement assurent le contraire.

Un début d’après-midi à Otchouandzoko. Des jeunes déambulent dans le village, d’autres, à l’ombre d’un grand safoutier, paressent devant un verre de vin ou s’adonnent au jeu de carte. Cette localité de 400 habitants, située à 35 km de Kellé, fait partie d’une dizaine de villages de l’axe Andzoko-Akamou-Ndzoukou durement impactés par l’exploitation de l’or alluvionnaire. Assis dans sa petite case en paille, le chef du village Victor Essangapela estime que l’or qui faisait hier le bonheur des habitants, est devenu la source de leurs malheurs. Et pour cause, le village a perdu vingt-sept des vingt-huit ruisseaux qui l’arrosaient: «ils les ont transformés en des mares stagnantes et polluées qui génèrent des moustiques jamais connus ici, nous provoquent des maladies épidermiques et diarrhéiques», raconte Essangapela.
Nous avons tout perdu
A 17km du village, Farrel un jeune orpailleur artisanal, contemple une clairière à perte de vue. Des marres d’eaux polluées, tapissées d’herbes par endroit, des bans de sable et du gravier complètent ce paysage. C’est ce qui reste du ruisseau nommé ‘’Ampélé‘’. A 500 m les uns des autres, on peut constater la même modification de l’habitat au niveau des ruisseaux.
Ongama, Ndoungnou et Mwana 7 naissent peu à peu de la destruction de leur écosystème: «c’était l’un des sites d’Agil. Nous exploitions l’or artisanalement dans ces ruisseaux, tout en préservant l’environnement. Agil s’est accaparé de nos eaux sans aucune compensation», explique Farrel avec tristesse, «les rivages étaient bordés d’arbres qui nous donnaient de bons fruits, Agil a tout abattu, les ruisseaux ont disparu, même le gnetum africanum (le koko-mfmbwa Ndlr) n’existe plus et jusqu’à la fin de nos jours, nous n’aurons plus ces arbres qui ne poussent qu’au bord des ruisseaux» regrette l’orpailleur.
Le président de l’Association Protège Moi Environnement (APME) Basée à Ewo, chef-lieu du département, a souvent sillonné ces forêts dans le cadre de ses activités. Le regard perdu, Clément Mbélé qui nous accompagne, dit ne plus reconnaitre les lieux: «Avant, se dressait ici une forêt primaire pourvue de gros bois d’essence comme les azobés», se souvient-il. Les eaux polluées sont très calmes, aucun frétillement, même de fretin: «l’activité d’Agil a exterminé tous les poissons qui mouraient seuls à cause des produits chimiques déversés dans ces rivières, les pistes créées par l’exploitant et le bruit des engins ont fait fuir le gibier apeuré, ils nous ont privé de nos espaces de pêche et de chasse», avance Farrel.
Entsiami, un village de 450 habitants, à environ 45 km de Kellé, a assisté à la disparition de ses vingt ruisseaux: «nos mamans ont perdu le ruisseau où elles rouissaient paisiblement le manioc à 300 m des cases. Ici Agil n’a épargné qu’un ruisseau et la situation est identique dans les dix villages de notre zone estimée à plus de trois mille habitants» raconte Max, un jeune orpailleur artisanal, licencié en histoire géographie.
Chômage, famine
et insécurité s’installent
Ces communautés vivent de chasse, de pêche, de cueillette et d’agriculture. L’extraction de l’or était leur principale source de revenu. Selon le président de l’Association pour la Défense des Intérêts des orpailleurs de Kellé (ADIOK) Emmanuel Aboro, plus de 1000 orpailleurs artisanaux ont perdu leur gagne-pain. C’est le cas de Max qui, grâce à l’orpaillage, vivait à l’abri du chômage: «hier je pouvais extraire 5g en une journée, je vendais le gramme à 25000fCFA, aujourd’hui il faut une semaine pour trouver 1g» avance-til. Les habitudes alimentaires aussi ont changé. Cette femme d’Otchouandzoko, exhibe quelques morceaux de poulet grillé au fond de la marmite: «nous sommes désormais condamnés à consommer le poulet congelé venu de la ville, mais il faut de l’argent pour en acheter», se plaint-elle tandis que sa voisine s’interroge: «Nous n’avons plus de rivières pour pécher, plus de forêts pour chasser, plus d’eau pour nos besoins, comment allons-nous vivre?»
Par ailleurs, les riverains accusent Agil d’avoir laissé dans leurs forêts des trous ouverts qui ont déjà causé trois décès parmi lesquels les habitants, dont un enfant de 4. Basil, habitant d’Entchiami, a perdu un petit-fils d’une vingtaine d’années mort noyé lors d’une partie de pêche. La voix tremblante d’émotion, il témoigne: «son hameçon s’était accroché à une branche dans l’eau, il est descendu pour le décrocher malheureusement le trou était profond, il est mort noyé, laissant une femme enceinte». Mais aucune famille n’a porté plainte «parce que nous n’aurons jamais gain de cause devant cette société envoyée ici par l’Etat», a dit Basil.
La polémique
Depuis la levée de sa mise en demeure, Agil Congo a repris ses activités dans un nouveau site sécurisé par des gendarmes, à 100km environ de Kellé vers Mbomo, à l’abri de tout contrôle. Le directeur général Serge Poungui étant injoignable, Yves Diakoubouka est le seul responsable que nous avons pu contacter. Il refuse d’être interviewé, de même qu’il s’oppose à la proposition de visiter le nouveau site. Mais, hors micro, il a confié qu’Agil n’a exploité que 12 sites dont la moitié a été réhabilitée. Les 24 autres, dit-il, reviennent aux sous-traitants. Or en matière d’exploitation minière, la réglementation est claire. La loi n° 4 du 11 avril 2005 portant code minier dispose en son article 128: «la réhabilitation de la surface des sols ou autres espaces attenant aux mines ou gisements, dont l’intégrité a été atteinte, de manière substantielle, du fait des travaux de recherche ou d’exploitation des mines et des carrières, sera assurée par le titulaire du titre minier». Agil est attributaire du permis de recherches et d’exploitation des mines Ngoyibomalossi d’une superficie de 774km carrés, soit les 77mille 400 ha où s’est produit ce désastre écologique.
C’est ainsi que, prenant appui sur cette réglementation, les riverains accusent l’exploitant d’avoir violé la loi. «Comme l’exige la loi, la réhabilitation de tous les sites dégradés était un préalable à la reprise des activités d’Agil le propriétaire du titre minier. On compte 36 sites dégradés, si Agil a restauré 6, il lui reste 30. Mais elle a repris ses activités à la frontière gabonaise sans avoir honoré ses engagements, avec la bénédiction du Gouvernement», rétorque Emmanuel Aboro.
Interrogée à Brazzaville sur la question, Arlette Soudan Nonault a d’abord reconnu que cette société avait commencé ses activités sans aucune étude d’impact environnemental et social. Conséquences, «Agil avait détruit toute source d’eau sur 75km, pollué le sol et l’air, provoqué sur l’homme les maladies de la peau» a-t-elle déclaré. Par contre elle soutient avoir constaté, lors de sa dernière mission en 2020, que les sites avaient été restaurés: «J’ai bien vu ces sources d’eau couler, les eaux ne sont plus polluées, Agil a fermé les trous ce qui nous a permis de lever la mesure» a assuré la ministre.
Des propos que contestent les riverains et la société civile: «si madame la ministre ne le sait pas, en dehors des quelques mètres qu’elle a vu, Agil n’a plus jamais bougé d’un pouce. Partout où elle a exploité, elle n’a ni fermé les trous, ni reboisé», a dénoncé Max.
Emmanuel Aboro qui demande que soit appliquée la réglementation afin de protéger la population, se dit «indigné de constater que le gouvernement n’écoute que l’exploitant».
Clément Mbélé quant à lui lance un appel aux organismes internationaux qui «peuvent nous accompagner techniquement et financièrement dans la réhabilitation notamment l’élaboration des pépinières et le reboisement des arbres abattus et dans la mise en place des alternatives comme la pisciculture, l’apiculture et l’élevage en vue de lutter contre la faim».
L’UFA Kellé-Mbomo subit d’autres pressions dûes à l’exploitation du bois notamment par la société Congo Dejia Wood Industry et à l’agriculture. Selon les données du Global Forest Watch, en 2010 Kellé avait 705 kha de couverture arborée, en 2021 cette localité a perdu 883ha de couverture arborée, ce qui équivaut à 611kt émissions de CO2. Toujours selon les données de Global Forest Watch, de 2002 à 2021, Kellé a perdu 13.0kha de forêts primaires humides, ce qui représente 60% de sa totale perte de couverture d’arbres au cours de la même période.

Un reportage de Blanche Simona réalisé avec l’appui du Rainforest Journalism Fund Bassin du Congo et le Pulitzer Center.