Lorsqu’il s’agit d’énumérer les différents maux qui l’affligent, le Congolais sait se montrer précis. Sa désignation touche en vrac l’approvisionnement irrégulier en eau, les variations ou suppressions inexpliquées dans la fourniture d’électricité, la rareté des pensions de retraite ou les mauvais soins de santé et les détournements des deniers publics. L’école des enfants ou leur chômage, la mauvaise qualité des routes et les fantaisies dans les transports, les nuisances sonores etc…Tout y passe !
Le Congolais tient un catalogue très net de ce qui ne va pas et le vocabulaire qui va avec est tout autant fleuri et varié. «Ils» grattent, rabotent ou ‘’boukoutent’’. Mais lorsqu’il s’agit des responsables d’une telle situation, les langues et les mémoires se font plus vagues. «Ils» dirigent mal ; «ils» volent; «ils» ne s’entourent que des leurs ; «ils» ont tout bouffé ; «ils» ont mis à terre telle société etc…Il paraît plus commode de se cacher derrière l’anonymat des «ils», même quand ces «ils» comptent aussi dans leurs rangs des «elles» de grande stature.
Ces «ils» noient un poisson connu de tous mais augmentent le courage que décuple l’anonymat. Tant qu’il en sera ainsi, les maux décriés mourront centenaires. Aucun n’en sera le responsable particulier, et toutes les proclamations, la main sur le cœur, d’éradiquer la corruption, d’envoyer au bagne sévère les indélicats (gros poissons ou menu fretin) qui se feront prendre seront tout sauf des programmes d’action. Une chose qui ne se nomme pas, n’existe pas par définition. Personne n’en est responsable.
Nous en sommes là, à préférer la masse informe pour diluer les responsabilités. Mais dans les quartiers, les villas poussent, bien solides; les hautes murailles signalent les lieux de préservation de cette opulence qui se traduit en manque d’aspirine et en écuelles vides. Parfois, à quelques mètres de ceux qui vont faire la queue pendant des heures, bidons jaunes en main, pour quêter un peu d’eau. A l’hôpital, on continue de mourir d’un manque de tout. Ou bien, de différences trop notables entre les condamnés à mourir ici et ceux qui, même morts reviennent en avion au Congo.
Et tout cela, alors qu’il ne passe pas de jour que l’on ne dénonce (ou soupçonne) une distraction de sommes d’argent public ici ou là. La semaine passée, c’était au Conseil économique et social. Plus avant, c’était à une caisse de retraite, à une banque…Le feuilleton à épisodes de notre dextérité à faire disparaître l’argent public, à le faire changer de main ou de poche, est d’une grande variété. Mais jusqu’à quand ?

Albert S. MIANZOUKOUTA