Le titre de l’ouvrage est quelque peu ardu, mais renseigne sur le reste: L’Etat-milice et sa métastase dans le Pool. Il s’agit d’un regard attentif sur les événements qui ont ensanglanté ce département et suscité des groupuscules de violences ici et là.

La guerre dans le Pool, est-elle une spontanéité dans l’histoire du Congo ou bien le résultat d’événements antérieurs?
• La guerre dans le Pool fut le résultat des événements antérieurs. L’histoire de la violence politique au Congo connaît deux phases de développement depuis la refondation de 1963. Durant les 27 années de régimes révolutionnaires, la violence politique était cantonnée au sommet du pouvoir et avait pour victimes les initiés des allées du pouvoir.
Avec l’arrivée au sommet de l’Etat du Président Lissouba en 1992, cette violence se déplace du centre du pouvoir vers la périphérie, vers la population. Les victimes de la fusillade du 30 novembre 1992, des citoyens ordinaires, annoncent l’érection de l’Etat-milice qui est debout dès janvier 1994 avec trois démembrements de factions miliciennes: les Aubevillois-Zoulous, les Ninjas et les Cobras. Plus tard, les. Faucons feront leur entrée dans ce club, de la saignée populaire.
Lorsque le 15 octobre 1997, le démembrement des Cobras met fin à l’Etat-milice, le mal était déjà fait, la violence était généralisée.
La guerre dans le Pool est l’une des conséquences du régime politique qualifié d’«État-milice» érigé par le gouvernement Lissouba

Deux attitudes en sont issues: la lutte contre le pouvoir (vu comme étant derrière ces violences); la lutte pour le pouvoir, pour le retenir et le consolider. La guerre du Pool a consolidé quel pouvoir?
• Dans mon livre, j’ai pris soin de rechercher les causes directes et indirectes du conflit dans le Pool depuis l’affaire de la colline Mwentango, sur la route de Kindamba-Ngouedi, jusqu’aux Accords de 1999. Après avoir suivi les péripéties militaires du début de ce conflit, et les déboires des forcés de sécurité, accuser le gouvernement d’être à l’origine de cette guerre relève d’un schéma complotiste, et du délire alcoolique, le tremens delirium.
Toute violence politique est accusatrice d’un conflit d’autorité et/ou d’une lutte pour le pouvoir. Dans ce dernier cas, celle-ci s’accompagne toujours de revendications clairement affichées. La sociologie des miliciens qui marchèrent sur Brazzaville le 18 décembre 1998 n’augurait pas de lendemains enchanteurs pour le Congo.
La théorie maoïste du pouvoir au bout du fusil est éculée aujourd’hui parce qu’elle induit un cercle infernal. Au Zaïre, en 1997, Kabila avait bien chassé Mobutu du pouvoir par les armes. Aujourd’hui, la RDC est un pays humilié, le plus humilié du monde, avec le génocide permanent de sa population, le pillage de son patrimoine naturel, et une armée défaite chaque année par les mêmes rwandais.

N’Toumi dans tout cela, quel rôle joue-t-il?
• Courant 1999, il apparut que le chef des insurgés dans le Pool était un jeune homme de 34 ans, nommé N’Toumi. Depuis, il est connu comme tel.

Un regard rétrospectif des événements, conduit-il à se positionner pour ou contre?
• Comme citoyen, je me situe du côté du droit, et de la légalité. Comme écrivain, je suis partisan de l’équité, et de la morale. Je suis un humaniste.
Être pour ou contre l’insurrection armée de jeunes miliciens du Pool revient à élucider la question de la légitimité de ce mouvement. Son endogènéité était-elle liée à la condition de vie des populations du Pool en termes d’injustice et d’oppression ethnique, économique ou religieuse? Était-elle liée à une prise de conscience révolutionnaire sur les maux qui entravent le progrès du Congo? Mon étude montre des jeunes en révolte contre le gouvernement sans un mobile populaire, ni révolutionnaire, ni ethnique, ni économique, ni religieux. Ils avaient, pour diverses raisons, le sentiment d’être persécutés par l’autorité publique et décidèrent pour cela de l’affronter. Après un de leurs succès sur le terrain, on bascula d’une jacquerie mineure à une guerre totale causant morts et souffrances à la population.
Un dirigeant de notre pays a résumé cet essai arguant qu’il constituait la mémoire documentaire des séquelles de l’Etat-milice dans le Pool, en particulier, et sur le territoire national en général.

Votre livre est un témoignage courageux sur ce qui s’est passé: quels sentiments a-t-il déjà suscités?
• Vous parlez d’un témoignage courageux de ma part, non! Je ne suis pas courageux. Je suis habité par la peur comme tout être humain. J’ai une famille et des enfants qui dépendent de moi. J’espère avoir présenté les faits et non pas des attaques contre des personnes physiques. Je serais confus et présenterais mes excuses à qui de droit si par étourderie, j’ai commis une telle faute. Ce livre écrit en trois mois pendant le confinement de 2020 est sorti de l’imprimerie en août 2021. Il a connu un succès en France auprès des africanistes et de notre diaspora parisienne. C’est à mon corps défendant que quelques 40 exemplaires sont arrivés à Brazzaville à ma grande surprise. Pour m’encourager, quelqu’un a dit: «Si nous sommes capables de nous entre-tuer, nous devons aussi être capables d’étudier, et d’analyser les causes de ces tueries afin de ne plus les récidiver».
Une seconde édition me paraît nécessaire pour en corriger les faiblesses et autres «sorties de piste» fort regrettables que j’ai constatées ou qui m’ont été rapportées.
Humblement, j’estime avoir ouvert une voie dans laquelle d’autres chercheurs n’hésiteront pas à s’engager. C’est à mon avis l’unique moyen d’éviter les spéculations conspirationnistes et autres schémas de haines mortifères avec lesquelles les fabricants de la mort intoxiquent nos populations.

Propos recueillis par
A. S. MIANZOUKOUTA