Loango, chef-lieu du département du Kouilou, a abrité du 17 au 18 décembre 2024 l’atelier de lancement du Plan de développement local 2025-2026. Cette cérémonie s’est déroulée en présence d’Alexandre Mabiala, président du Conseil départemental du Kouilou, de Mme Adama Diane Barry, représentante du PNUD au Congo, et de Mgr Abel Liluala, archevêque métropolitain de Pointe-Noire. A cette occasion, Mgr Abel Liluala a, dans son allocution, souligné que le développement local doit aussi prendre en compte les dimensions sociales, culturelles et spirituelles de notre vie en communauté. Voici un large extrait de son discours.

Je suis très honoré de prendre la parole devant vous aujourd’hui, à l’occasion de cet atelier de lancement du Plan de développement local du Kouilou. C’est un moment crucial qui marque le début d’un processus collectif visant à transformer notre département et à offrir à nos populations un avenir meilleur.
Je tiens à saluer tous les efforts déployés pour initier ce projet ambitieux et à exprimer ma reconnaissance à toutes les parties prenantes qui y contribuent. Le Kouilou est en marche vers le développement.
Nombreux d’entre vous se posent la question que vient encore faire l’Église sur la question du développement local? A-t-elle une expertise sur le développement local? Quel pourrait être son rôle dans la transformation du Kouilou? Permettez-moi que j’y réponde avant que je ne sois interpellé.
L’Église a une doctrine très élaborée sur le développement qui s’est construite au fil des siècles passés. L’intérêt de l’Église pour les questions de société se fonde sur l’encyclique du Pape Léon XIII Rerum Novarum (Des Choses nouvelles) publiée le 15 mai 1891 dans un contexte d’industrialisation et de montée du capitalisme en Europe. Léon XIII prit la parole pour analyser la condition pénible des travailleurs salariés dans l’industrie plongés dans une misère révoltante. Léon XIII donnait ainsi «droit de cité» à l’Église dans les réalités changeantes de la vie publique. Il écrivait que «les problèmes sociaux ne pouvaient être résolus que par la collaboration entre toutes les forces.» Pour célébrer les 70 ans de Rerum Novarum, le Pape Jean XXIII publia Mater et Magistra (Mère et Éducatrice) le 15 mai 1961. Le contexte était celui de la conquête de l’espace, de l’intervention accrue de l’Etat pour redistribuer les richesses, assurer une protection sociale à la population, et surtout celui de la décolonisation avec la prise de conscience du sous-développement du Sud, tandis que le Nord entrait dans une ère de prospérité avec des grands écarts entre les Nations. Lors des grandes assises du Concile Vatican II, la question de la pauvreté et du sous-développement a occupé une grande place, au point où le Concile y a consacré une Constitution Pastorale Gaudium et Spes (Espérance et Joie) qui a émis le vœu de travailler de manière continue sur la justice sociale au numéro 90.3: «Considérant l’immense misère qui accable, aujourd’hui encore, la majeure partie du genre humain, pour favoriser partout la justice et en même temps pour allumer en tout lieu l’amour du Christ à l’endroit des pauvres, le Concile, pour sa part, estime très souhaitable la création d’un organisme de l’Église universelle, chargé d’inciter la communauté catholique à promouvoir l’essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations.»
Le Pape Paul VI est celui qui fixera clairement les idées de notre Église sur le développement en mettant en pratique les résolutions du Concile. Ainsi, dans son encyclique Populorum Progressio (le progrès des peuples- publiée le 26 mars 1967, il écrira: «(…) Tout dernièrement, dans le désir de répondre au vœu du Concile et de concrétiser l’apport du Saint-Siège à cette grande cause des peuples en voie de développement, nous avons estimé qu’il était de notre devoir de créer parmi les organismes centraux de l’Église une Commission pontificale chargée de «susciter dans tout le peuple de Dieu la pleine connaissance du rôle que les temps actuels réclament de lui, de façon à promouvoir le progrès des peuples plus pauvres, à favoriser la justice sociale entre les nations, à offrir à celles qui sont moins développées une aide telle qu’elles puissent pourvoir elles­mêmes et pour elles-mêmes à leur progrès»: Justice et Paix est son nom et son programme. Nous pensons que celui-ci peut et doit rallier, avec nos fils catholiques et frères chrétiens, les hommes de bonne volonté. Aussi est-ce à tous que nous adressons aujourd’hui cet appel solennel à une action concertée pour le développement intégral de l’homme et le développement solidaire de l’humanité.» Populorum Progressio est un vrai discours sur la méthode en ce qui concerne le développement.
La Commission Justice et Paix de notre Archidiocèse, en s’associant au Conseil départemental du Kouilou pour promouvoir ce Plan de développement local, est bien dans la méthode édictée par Paul VI. Comme Paul VI qui affirmait que ses voyages en Amérique Latine en 1960, en Afrique en 1962, avant son pontificat, puis en Terre Sainte et aux Indes, une fois devenu Pape, lui ont permis: «de voir de nos yeux et comme toucher de nos mains les très graves difficultés qui assaillent des peuples d’antique civilisation aux prises avec le problème du développement.» Je peux vous dire que la providence a fait de moi curé de la paroisse Saint Pierre de Nzambi pendant 9 ans. Comme curé, j’ai été témoin de la réalité quotidienne de mes communautés souffrant d’un accès très limité aux routes et aux infrastructures de base. Pas de voies bitumées et pendant la saison des pluies, il était très difficile, voire impossible d’accéder aux services essentiels. J’avais particulièrement très peur de tomber malade et que dirai-je de mes communautés du fait de manque d’hôpitaux adaptés et du mauvais état des routes ne permettant pas d’être transportés rapidement dans un centre hospitalier adapté.
Les enfants et les enseignants ne pouvant accéder à l’école, des fonctionnaires mal logés. Les agriculteurs peinant à acheminer leurs produits vers les marchés. Pas d’électricité et pas moyen de conserver des vivres. Cette expérience m’a profondément marqué et a renforcé ma conviction que le développement local doit aider nos communautés à avoir un accès facile aux routes, à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable, à l’électricité et à créer les conditions de leur souveraineté alimentaire. Je suis heureux que les actions prioritaires de ce Plan de développement local tiennent compte de tous les défis.
Comme curé de Loango-Diosso, Madingo-Kayes, Kakamoeka, Louaka, Louvoulou et de Zambi et puis maintenant comme archevêque, je suis témoin de l’érosion maritime qui nous a obligés à déplacer le cimetière des missionnaires, la déforestation du Mayombe par l’activité humaine; nous avons tous suivi sur les médias et les réseaux sociaux la problématique de l’exploitation de l’or et la protection de l’environnement à Dimonika, à Kakamoeka. Nous sommes témoins de la déforestation des Gorges de Diosso, des Bois de singes et de la disparition des mangroves sur notre littoral. Le Pape François, dans son encyclique Laudato Si, nous interpelle dans ce sens: «J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous touchent tous.» Je suis heureux que le Plan de développement local ait pris des mesures pour lancer des études sur le reboisement de nos forêts et de sensibilisation de nos communautés du Kouilou.
Je vous encourage tous à prendre part activement à ce processus. Gouvernement de la République, Conseil départemental du Kouilou, Société civile, entreprises, bref tous les corps intermédiaires doivent se coordonner pour le succès de ce Plan de développement local.
Enfin, je voudrais souligner que le développement local ne se fait pas uniquement en termes d’infrastructures physiques. Il doit aussi prendre en compte les dimensions sociales, culturelles et spirituelles de notre vie en communauté. Dans toutes nos démarches, nous devons veiller à ce que les valeurs de solidarité, de respect et de justice guident nos actions. Car le véritable développement humain est celui qui élève la personne dans toutes ses dimensions, et non seulement dans ses besoins matériels. Ces vérités ont déjà été affirmées dans l’Encyclique Sollicitudo rei socialis publiée par le Saint Pape Jean Paul II le 30 décembre 1987.
Je vous remercie pour votre engagement et votre présence ici aujourd’hui.
Je remercie la Caritas Congo qui a apporté son expertise à la Commission Justice et Paix de notre Archidiocèse pour l’aboutissement de ce projet. Mais ce n’est que le début d’un long processus. Ensemble, nous avons la possibilité de transformer le Kouilou et de créer des conditions de vie meilleures pour nos enfants et pour les générations futures.
Que Dieu bénisse chacun de nous dans cette noble mission, et que le Kouilou devienne un modèle de développement durable, de prospérité, de paix et de justice sociale.
Merci.