L’ECO est loin de voir le jour à la fin de cette année 2020 à cause de certaines contraintes pratiques. Son lancement est une nouvelle fois repoussé, avec pour principale raison la COVID-19. Pourtant, il ne restait plus que quatre mois pour lancer la monnaie unique de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), comme l’évoquent régulièrement les textes depuis 2015.

La raison de report du lancement a été donnée par la CEDEAO, il y a quelques jours. Le délai est très court, alors qu’il restait encore à créer la Banque centrale fédérale, a précisé également le régime de change de la nouvelle monnaie, sans compter les nécessaires démarches administratives et informatiques liées à un changement de devises et à la fabrication des pièces et billets.
Le report a été annoncé depuis le 7 septembre 2020 à Niamey, au Niger à la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement de la région. Les dirigeants de la CEDEAO ont évoqué l’élaboration d’une nouvelle feuille de route, sans pour autant indiquer de nouveau calendrier. Si aucune indication n’a été donnée pour la mise en place de cette future monnaie, qui se fera de manière graduelle comme le stipulaient déjà les textes précédents, il est à noter que la CEDEAO exempte ses membres du respect des critères de convergence macroéconomique en 2020.
Martial Zebelinga, économiste-sociologue, auteur du livre «Sortie de la servitude d’une politique monétaire qui profite au franc CFA», a émis une analyse sur cette décision de report. L’expert ouest-africain estime que «les chefs d’Etat de la CEDEAO ont repoussé à cause de la COVID-19. Plusieurs Présidents savaient déjà que la CEDEAO n’était pas encore prête, à cause d’un certain nombre d’éléments techniques à faire aboutir, par exemple définir le mode de fonctionnement, choisir le régime de change, en gros le processus n’était pas encore arrivé à son terme. Mais, il y a un vrai problème politique, parce que la monnaie est un territoire de souveraineté. C’est un ensemble des décisions politiques. Ce sont ces décisions politiques qui feront ou ne feront pas avancer le projet de la monnaie unique de la CEDEAO».
L’analyste atteste que cela a été le cas partout: on a vu les difficultés de l’Union européenne dans les années 2010. Grâce aux décisions politiques, il n’y a pas eu d’effondrement. Cette donnée va accompagner le processus de création de l’ECO. Pour avoir le dollar, il a fallu un siècle pour que celui-ci devienne la monnaie de tous les Etats-Unis et l’Union européenne a mis une quarantaine d’années. Par nature, c’est un processus qui est difficile. Le vrai problème qui se pose, c’est la question politique et de la géopolitique.
Pour lui, l’ensemble des analyses aujourd’hui sur les questions africaines reconnaît que les pays n’ont pas décolonisé leurs économies, qu’ils n’ont pas décolonisé leurs relations avec les anciennes métropoles. Le franc CFA existe encore, il est toujours fabriqué en France. On sait aujourd’hui que c’est très important pour la Banque de France et ses ateliers de recevoir la commande des pays d’Afrique. Pour l’économiste, il est important de repenser le processus de la monnaie unique, donc le concept même et le processus.
Il est donc souhaitable de sortir de cette vision étroite des critères de convergence essentiellement macroéconomique et de travailler beaucoup plus sur les critères qui mettent en avant la transformation économique, le changement de paradigme économique. Tant que la dépendance des matières premières demeure, à la première secousse de leur grande fluctuation, il y a beaucoup de pays qui seront en difficulté.

Philippe BANZ